Elle avait réussi à le convaincre de revenir mettre les pieds chez elle. Ce n'était pas bien compliqué ceci dit, parler au ventre d'Audrain était aussi efficace que parler... à une autre partie. Il avait râlé pour la forme, sur le fait qu'elle ne mangeait que de l'herbe et des cailloux, mais la bouclée était habituée et ne lui en tenait pas rigueur, comme pour à peu près tout. La jeune femme avait misé sur un plat simple mais relativement efficace, à base de riz au curry, de tofu épicé et de légumes frais. Une douce odeur avait envahi son appartement, et elle espérait bien que son ami ne fut pas en retard, sous peine de manger toute seule sans l'attendre.

Entre ses jambes, Volt attendait plus ou moins patiemment qu'un morceau d'haricot vert tomba sous son museau, accompagnant sa demande de miaulements répétés et de frottements contre la peau de la jeune femme. Mystie avait réglé le problème en sautant directement sur le plan de travail, et après l'avoir remise trois fois par terre, Charlie avait abandonné le combat. La minette gagna même quelques caresses, ronronnant à chaque fois...

Le plat finissait donc de mijoter et la jeune femme alla s'installer dans le canapé, attrapant son téléphone au passage. Aucun message d'Audrain. Il n'était pas encore en retard cela dit. Elle en profita pour faire le tour des réseaux sociaux et repartager quelques articles et vidéos,  toujours aussi attristée et révoltée du sort réservé aux animaux. Si le brun ne se pointait pas bientôt, il risquait de retrouver une bouclée en pleine rébellion et d'en entendre parler tout au long du repas !

La porte s'ouvrit, et elle ne se tourna pas vers lui, sachant très bien qu'il viendrait rapidement la rejoindre. Ce qui ne manqua pas d'arriver dans l'instant qui suivit, sa joue gratifiée d'un baiser avant qu'il ne s'installa avec son élégance coutumière près d'elle. Le retrouver ici lui faisait vraiment plaisir, et les premières piques du jeune homme lui tirèrent un large sourire. Rien n'avait changé, il fallait qu'elle s'en convainc.

Quelques feuilles de pommier et des brins d'herbe, j'ai pensé à toi, t'en fais pas.

Elle lui jeta un regard en coin, maitrisant mal l'envie de rire qui arrivait. Heureusement l'annonce du petit-déjeuner fort équilibré du jeune homme lui permit de surjouer la lassitude et de pousser un soupir trop prononcé. Son index vint s'enfoncer dans le ventre d'Audrain et avec une petite moue désapprobatrice, comme si elle lui faisait la leçon, elle commenta :

Pour le moment ça va, mais dans quelques années, on distinguera plus tes abdos sous la couche de graisse. C'est pas avec ça que tu recevras plus de culottes pendant tes concerts.

La jeune femme resta sérieuse encore un moment, avant de pouffer de rire pour de bon, le repoussant gentiment contre le canapé, comme le sale gosse qu'il était. Il lui avait manqué, même si ça ne faisait que quelques semaines qu'il était parti... Et découvrir qu'il avait pensé à l'un de ses chats, celui qui l'avait le plus rapidement adopté, le vieux Pepperoni, lui serra de joie le coeur. Il n'y avait guère de façon de faire plus plaisir à Charlie que de s'intéresser à ses petits compagnons. Le petit sachet fut récupéré et elle se pencha vers le brun pour l'embrasser, détournant légèrement son visage au dernier moment pour gagner à son tour sa joue.

Merci. Y'a pas qu'à lui que tu as manqué. Je suis contente que tu sois là... Ca se passe comment chez Niallàn ? Tu restes longtemps encore chez lui ?

C’était un jour spécial pour Declan. Aujourd’hui, il avait rendez-vous pour un job chez un entrepreneur du coin dans le bâtiment… Cela faisait partie de la première étape de son plan de relance. Il lui fallait un peu d’expérience et surtout une façade pour l’argent qu’il allait commencer à rentrer.  Une activité officielle et légale pour ne pas trop éveiller les soupçons alors qu’il mettait en place les premiers jalons de son grand projet…

La petite voix tenait le lead ces derniers temps et avait fait beaucoup pour eux… Ce fut donc avec coupe de cheveux et barbe entretenues que Declan se pointa à l’appartement de Charlie… Il était également passé s’acheter de nouvelles fringues dans une boutiques du coin. Son allure était bien différente de celle qu’il avait eu ces dix dernières années…Les vêtements plus ajustés ne laissaient plus imaginé un clochard bedonnant, mais marquaient au contraire une silhouette bien affutée. La jeune femme lui avait proposé de passer se reposer et se laver chez elle s’il en avait besoin, alors ce jour-là, bien qu’il eût pu trouver un autre endroit pour se préparer, il n’hésita pas à venir frapper à sa porte.

Il monta les marches, avec calme, en repensant aux dernières entrevues. Les conditions aujourd’hui étaient bien différentes. Peut-être s’aventurerait-il à lui proposer de boire un verre avec lui pour une nouvelle discussion… Pris dans ses pensées, il n’avait pas remarqué qu’il était déjà devant la porte depuis quelques secondes.

*On te r’garde Rhys*

Depuis l’autre côté de la porte, une voix masculine se fit entendre. Le métamorphe se pencha contre le bois pour entendre ce qui se disait, juste au moment où Audrain proposait à Charlie de jouer les facilitateurs. Une légère grimace se dessina sur le visage de Rhys avant que la petite voix n’intervienne :

*Putain commence pas ; c’est l’plan, tu l’suis. Si jamais c’est une menace on lui tranchera la gorge. Mais pour l’instant, reste focus.*

Son poing vint frapper deux fois la porte, assez fortement, bien décidé. Oui, il aurait pu se préparer ailleurs, mais Charlie lui avait proposé de passer…

La jeune femme se laissa faire de bonne grâce, venant se loger contre lui naturellement, retrouvant cette place qu'elle avait tant occupée quelques semaines plus tôt. Elle n'y fit même pas attention, écoutant plutôt les nouvelles d'Audrain, lui donnant de temps à autre un petit coup de coude quand elle trouvait qu'il exagérait. Il avait l'air d'aller bien, il prenait sa vie en mains, et plus que tout il semblait prêt à s'installer de nouveau à Astoria. Charlie en était ravie, heureuse à l'idée de pouvoir le voir régulièrement, de garder un oeil sur lui et ses bêtises, et elle espérait aussi le voir enfin sur scène pour de vrai. Elle tourna son minois vers lui pour le regarder, un large sourire illuminant ses traits.

Ca veut dire que tu restes alors ?

Une vraie gamine heureuse comme à Noël ! Puis elle baissa les yeux sur le bars du brun, grimaçant un peu quand il avoua ne pas l'avoir désinfectée, même si elle le soupçonnait de le faire exprès uniquement pour attirer son attention. Ce qui marchait assez bien après toi, puisqu'elle laissa courir ses doigts juste à côté de la trace en répliquant avec un air inquiet et affolé :

Quoi ?! Mais tu sais ce que tu risques ? T'as entendu parler de la toxoplasmose ? Et des infections ? Va falloir au moins que je te badigeonne ça, puis qu'on mette un bandage et surveiller qu'une gangrène ne se déclare pas !

Elle éclata de rire et ce fut à ce moment là que quelques coups furent donnés à sa porte. La bouclée se redressa, sourcils légèrement froncés. Elle n'attendait personne. Par réflexe, elle jeta un oeil à son téléphone, mais aucun message n'y apparaissait. La jeune femme abandonna sa place, se levant presque à regret tout en haussant les épaules vers Audrain pour lui signifier qu'elle ne savait pas qui c'était. Quelques pas lui firent gagner la porte, et lorsqu'elle l'ouvrit, la bouclée manqua de ne pas reconnaître l'homme qui apparut.

Rhys ?!

Waouh, ça c'était du changement ! Rien à voir avec celui qu'elle avait rencontré précédemment. Il était... canon... différent. La barbe, la coupe de cheveux, les vêtements, tout lui allait bien et Charlie se demanda même s'il n'avait pas plutôt affaire à une sorte de jumeau. Par réflexe, ses yeux le dévisagèrent et détaillèrent son haut, à la recherche d'une blessure ou d'une trace de sang, en vain. Elle finit par rouvrir la bouche, lui souriant, contente de le voir en si bonne forme et s'écarta pour le laisser entrer.

Entres, je suis avec un ami. Tu vas bien ? Ca a l'air ! Tu as besoin de quelque chose ? Je... je m'attendais pas à te voir... comme ça. Mais c'est cool ! Tu es... bien.

Elle étouffa un léger rire, plus gêné qu'autre chose. Le changement radical la perturbait, indubitablement. Elle glissa ses mains dans les poches de son short en jeans, comme si cela allait magiquement modifié quelque chose. Quoi ? Elle ne le savait pas elle-même...

De l’agitation de l’autre côté de la porte. Apparemment, Charlie n’était pas – assez - occupée pour laisser passer une visite inattendue. L’analyse se fit en fond, comme quelque chose d’apaisant. Il entendit les quelques pas qui se faisaient de plus en plus proches, avant que finalement la porte ne s’ouvrit pour dévoiler la scène.

Les yeux du métamorphe se fixèrent dans ceux de la brune, qui reflétaient la surprise et l’étonnement. Il était vrai qu’il y avait eu quelques changements depuis leur dernière rencontre. Elle était toujours aussi resplendissante, comme si toute la lumière de la pièce était dirigée sur elle. Dans son ombre, en arrière-plan, un chaton se mit à se gonfler pour paraitre plus imposant qu’il ne l’était. La petite voix ne manqua pas le comportement du jeune homme, juste en fond, mais il n’était pas jugé comme une menace pour sa sécurité immédiate, alors Declan n’y préta pas plus attention, continuant plutôt sa conversation avec la belle tout en pénétrant dans la pièce.

- Merci ! Ouais, j’vais bien. Quasi pas d’alcool dans l’sang ces derniers temps… T’as l’air en forme aussi.

Un rapide coup d’œil le long de la silhouette que Audrain ne manquerait certainement pas, et qui suffisait au métamorphe pour apprécier les lignes de la jeune femme. Elle, saurait très probablement traduire cette phrase concernant l’alcool, mais au moins, il n’était pas dans l’état de leur première rencontre. Le gamin derrière, qui en fait, devait être de la même tranche d’âge que Charlie se tenait debout, sans broncher et le fixait du regard. Declan pouvait facilement y lire un certain agacement : sans doute ses plans étaient-ils tombés à l’eau… Un demi-sourire se dessina l’espace d’un instant sur les lèvres du métamorphe à cette pensée. Finalement Audrain les interrompit, ne laissant pas le temps pour plus de réponse. Cette intervention, bien qu’il s’efforçât de donner le change, révélait beaucoup de chose. Le visage de Declan se tourna vers Audrain, sans pour autant lui adresser la parole.

- En fait Charlie, j’me demandais…

Son regard revint se planter dans celui de la jeune femme.

- Si c’était possible d’prendre une douche ici ? J’ai un rendez-vous d’prévu.

La jeune femme eut un léger sourire. Ils pouvaient se permettre de parler légèrement de leur première rencontre maintenant ? Rhys en plaisantait même ? C'était déroutant. Qu'avait-il fait depuis la dernière fois ? Charlie avait l'impression de voir un homme si différent... Cure de désintox, rehab, thérapie ? Si la curiosité était là, elle n'en demeurait surtout pas moins ravie de le voir ainsi. Elle ne lui tenait plus rancune de ce passage chez elle depuis un moment, et son naturel la portait à se réjouir pour lui de cette amélioration...

Toutefois la bouclée eut l'impression étrange de se retrouver au milieu d'un combat de coqs. dans son dos, la voix d'Audrain était tendue, malgré l'effort qu'il y mettait mais qui ne pouvait pas la tromper. Et le regard que Rhys avait brièvement porté sur le jeune homme n'était pas des plus chaleureux. Ils ne se connaissaient pas apparemment, alors quoi ? Elle retint un soupir, préférant faire les présentations pour apaiser cette situation qu'elle ne comprenait pas :

Rhys, voici Audrain, un très bon ami d'enfance qui est revenu s'installer ici. Audrain, voici donc Rhys que je connais depuis quelques mois et que j'ai... aidé. Voilà... Viens Rhys, je vais te donner ce qu'il faut, pas de soucis.

Elle traversa le salon avec lui, le guidant jusqu'à la petite salle de bains. La jeune femme sortit une grande serviette de toilettes, lui montra la différence entre le savon et le shampoing solides puis sortit, refermant la porte derrière elle. Elle rejoignit Audrain, glissa une main dans la sienne et l'attira jusqu'à la fenêtre, s'éloignant au maximum de la pièce au l'homme était enfermé. A voix basse, la jeune femme lui donna quelques explications :

Il vit dans la rue. Je l'ai soigné une fois, recousu même, il était salement amoché. Et je l'avais invité à manger après. Ca c'était bien passé, je lui ai dit qu'il pouvait revenir si besoin, c'est tout. Il connait Pepperoni tu sais ? D'avant que je le récupère.

Comme si le chat pouvait être un gage de caution envers le SDF. Evidemment, Charlie avait sciemment mis de côté l'épisode d'un Rhys à poil et en furie dans son salon, la menaçant d'un couteau de cuisine avant de s'enfuir. Ce n'était sans doute pas quelque chose à mettre tout de suite à la connaissance d'Audrain, si elle ne voulait pas assister à un meurtre dans son appartement...

Elle se mordit la lèvre en l'écoutant, bien trop consciente qu'il valait vraiment mieux qu'Audrain ignora tout de sa première rencontre avec Rhys. Oui, ça aurait pu mal se finir pour elle, elle le savait. Mais à l'époque, l'homme était arrivé chez elle sans qu'elle ne sut comment, désorienté et colérique, mais il était reparti comme il était venu, et l'effort fourni plus tard à rapporter ses affaires l'avait convaincue qu'il ne s'en prendrait pas à elle... Convaincre toutefois Audrain de cela était impossible, et alors qu'il la prenait contre lui, mêlant son désir de la protéger de mots et de gestes, la bouclée hocha simplement la tête, lovée contre lui.

Le moment dura bien moins longtemps qu'auparavant, suffisamment cependant pour que la jeune femme ressente toute la tension qui habitait son ami. Elle le laissa fumer sans rien dire de cette habitude qu'elle n'appréciait guère pourtant, pouffant malgré tout de rire quand il grogna de nouveau.

Tu n'aimes personne qui m'approche si ce n'est toi-même de toute façon. Et il ne me mate pas, ne raconte pas n'importe quoi.

La bouclée déposa un léger baiser sur la joue du brun, avant de poser une fesse sur le rebord de la fenêtre près de lui.

Il a l'air de chercher à s'en sortir. Je peux pas vraiment le freiner là dedans, c'est bien pour lui. Tu as déjà été en galère Audrain, tu sais comme ça compte quand quelqu'un te tend la main, non ? Fais un effort. Pour moi, ok ?

Elle lui sourit, son genou frôlant le sien. Ce n'était pas très fair-play, elle le savait bien, mais il ne l'était pas vraiment non plus avec elle, alors la jeune femme ne faisait qu'user des mêmes armes après tout !

Finalement ce n’était pas si compliqué. La jeune femme fut tout de suite d’accord avec l’idée. En même temps, c’était bien elle qui le lui avait proposé la dernière fois, alors pourquoi s’en faire ?... Charlie le présenta ensuite officiellement à Audrain, tout en évitant de parler de sa situation devant lui. Elle devait donc se sentir gêner… Ca faisait cet effet-là parfois…

- Salut.

Le ton était complètement neutre. Il n’avait pas envie de donner plus d’attention à ce type. Le métamorphe suivit son hôtesse jusque dans la salle de bain. Sur le chemin, Peppe vint lui faire ses salutations, et Rhys y préta plus d’intérêt qu’au chaton brun qui se tenait non loin. Une fois dans la salle d’eau, il récupéra la serviette tendue par Charlie tout en écoutant les explications qu’elle donnait sur les différents produits. Toutes ces particularités ne l’intéressaient que très peu, mais il ne laissa rien paraitre et écouta, malgré tout, avec attention – après tout c’était la douce mélodie de Charlie qui se jouait.

- Ok, merci Charlie.

Il lui fit un signe de tête accompagné d'un sourire et entreprit de se déshabiller avant même que la jeune femme eut complètement quitté la salle de bain. Ce n’était pas comme si elle ne l’avait jamais vu nu après tout… Immédiatement après, l’eau commença à couler : chaude et en quantité suffisante pour se laver. Voilà quelques temps qu’il n’avait pas connu ça. Il prit ensuite le savon et se nettoya complètement avec : plus rapide, même effets. Quelques minutes plus tard, il était avec sa serviette autour de la taille devant le miroir, observant le fond de ses yeux, là où la petite voix se cachait…

*Bien… bien… On commence à avoir de la gueule… Ca nous change… Heureusement que cette femme, au parc, nous a fait sortir d’not putain d’cage*

Un long soupir se fit entendre, puis il détourna le regard et sortit sur le pas de la porte, la peau ruisselante de quelques perles d’eau qui s’étaient perdues sur les reliefs de son corps. Ce n’était clairement pas celui d’un alcoolique bedonnant. Les combats faisant, il avait plutôt un corps massif et musclé, marqué par les tatouages et les cicatrices.

- Y’aurait moyen d’foutre mes fringues à laver vite fait ? Ils sentent le neuf, c’est pas top.

Là encore, il n’eut pour le jeune homme qu’un bref, très bref regard, avant de retrouver la rayonnante Charlie, dont il appréciait les courbes à chaque fois que ses yeux le lui permettaient. Audrain le remarquerait sans doute. Charlie, peut-être, selon sa concentration sur ce qui se passait dans son appartement…

Elle attrapa l"une de ses mains et la serra entre les siennes. La jeune femme savait, mais si elle ne connaissait pas toute la vérité, ce que ça coûtait à Audrain de faire des efforts lorsqu'il n'appréciait pas quelqu'un. Elle lui souffla un "merci" et glissa un baiser sur sa joue, un sourire sur les lèvres, juste avant que la porte de la salle de bain ne s'ouvrit pour laisser passer Rhys. Quasiment à poil. Ca devenait une manie. Une manie pas désagréable quand ses yeux glissèrent sur le torse du SDF. Ah, quand même. La bouclée retint un sourire en découvrant le fameux tatouage de la Vierge et de l'enfant, dont il lui avait parlé bien des semaines auparavant. Et celui-là, sur son autres bras c'était quoi ? Et sur le haut de son torse ? Il en avait tant... Sans parler des lignes des muscles que son regard se forçait à ne pas trop accrocher.

A ses côtés, Audrain était bien moins sous le charme du barbu. Lui s'était déjà levé, pour désigner à Rhys l'emplacement de la machine. Qu'il connaissait soudainement bien mieux lorsque ce n'était pas ses propres affaires à y mettre. La jeune femme leva les yeux au ciel, masquant bien mal un soupir. Le combat de coqs allait reprendre. Et pourquoi ? L'un était son ami, l'autre... elle ne savait pas vraiment, une connaissance ? Certes, sa relation avec Audrain n'était pas sans ambiguïté, mais de là à jalouser autant un type qui posait apparemment les yeux sur elle, Charlie y trouvait une pointe d'exagération. C'était mignon, mais elle ne se sentait pas le besoin d'être à ce point protégée.

Ca va... Poussez-vous que je mette la lessive. Y'a un programme rapide, et ça sèche aussi. Pas très écolo, mais c'est mieux que l'humidité l'hiver...

Elle sourit à l'un et à l'autre, passa entre eux et lança la machine. Il n'y avait plus qu'à attendre.

Rhys, tu veux manger avec nous le temps que ça se finisse ? Y'en a pour... 40 minutes à peu près. Ca ira ?

Il vallait mieux, s'il ne voulait pas repartir avec des fringues trempées. Sans attendre vraiment de réponse, elle ouvrit un placard pour sortir assiettes et verres, les déposant sur le plan de travail non loin d'elle, y ajoutant les couverts. Laissant l'un d'entre eux prendre l'initiative, ou non, de mettre la table, Charlie alla soulever le couvercle du plat, remuant le tout et savourant l'odeur qui s'en dégageait. Le repas dériderait peut-être un peu les deux mâles qui se toisaient dans son dos...

La première réaction fut celle d’Audrain dont les mots vinrent se jeter sur les défenses du métamorphes comme une première déclaration de guerre, que cependant il s’évertua à classer sans suite… Pour l’instant au moins… Intérieurement la petite voix jubilait… Le jeune était clairement attaché à Charlie et c’était avec un plaisir certain qu’elle observait ses réactions.

- Vaut mieux s’tenir prêt à tout pour c’genre d’entretien, tu vois.

Une réponse sérieuse, à une remarque ironique. Declan reporta son attention sur Charlie qui sembla perdue dans ses pensées quelques instants. N’avait-elle pas compris sa demande ? Ou attendait-elle des précisions supplémentaires ? Ou bien était-elle en train de redécouvrir ce qu’elle n’avait pas vu à la toute première rencontre, trop occupée à se défendre contre l’inconnu qu’il était.

Au lieu d’entendre la douce voix de la jeune femme, ce fut à nouveau celle du gamin qui retentit dans l’appartement. * Fais chier*. Audrain s’avança, comme pour protéger son territoire, et lui montra l’emplacement de la machine à laver. Declan fit les quelques pas qui le séparaient de la cuisine pour venir y mettre ses affaires sans vraiment attendre la validation de Charlie. Lorsqu’il passa à côté du jeune homme, un léger sourire s’afficha sur ses lèvres, provocateurs.

- T’inquiètes pas va, j’vais pas t’faire d’ombre trop longtemps.

Mettre le doigt sur ce qui se tramait et le dévoiler au grand jour… Le métamorphe détourna ensuite les yeux pour retrouver Charlie qui venait de faire son retour, s’interposant entre eux, comme arbitre d’un combat qui n’avait même pas encore démarré…

- J’d’vrais avoir l’temps pour ça ouais. C’est sympa. J'ai rien mangé d'puis hier soir...

Declan se déplaça juste à côté de la jeune femme qui s’était remise à la cuisine, la frôlant presque... Il pouvait sentir son odeur tant ils étaient proches nullement gêné par la serviette qu’il portait autour de la taille comme unique vêtement. Un instant seulement s’écoula, avant de se pencher au-dessus du plat :

- Qu’est-c’que tu prépares ? Ça sent bon.

Un passage, rapide, mais qui lui permettait d’occuper la scène, avant de se retourner pour commencer à distribuer les assiettes, jetant un regard en coin sur Audrain… Le laisser approcher, le laisser réaliser les premières attaques, le laisser commettre les faux-pas…

Ce fut Rhys qui vint l'aider, et bizarrement, la bouclée ne s'en étonna guère. Il y avait quelque chose de différent chez lui, qu'elle sentait un peu augmenté par la présence d'Audrain. Ce côté serviable n'était sans doute pas anodin, de même que son bras qui frôla le sien lorsqu'il vint humer le plat. Un drôle de frisson parcourut la jeune femme, qui commençait à ne plus savoir quoi penser de tout cela. En tout cas, elle lui répondit avec son éternel sourire :

Merci ! C'est du tofu, des légumes et du riz au curry. Rien de bien compliqué en fait. C'est légèrement épicé et ça ne pèse pas sur l'estomac. Tu ne devrais pas être gêné pour ton... rendez-vous.  C'est pour du boulot ?

Elle se demandait bien ce qui avait pu pousser Rhys à passer chez le coiffeur et le barbier, à s'acheter des vêtements et à réclamer une douche. C'était forcément un truc important, et Charlie s'en réjouissait pour lui, l'imaginant reprendre une direction plus saine pour sa vie. La réflexion d'Audrain la tira de ses pensées et ses yeux constatèrent la cigarette allumée au beau milieu de sa cuisine. Un voile de déception et de tristesse passa dans le regard sombre de la jeune femme, qui tourna une seconde la tête vers le tatoué :

Excuse-nous un instant.

Sa main attrapa le bras d'Audrain, qu'elle tira de force jusqu'à sa chambre, claquant presque la porte. L'incompréhension et... la colère ? nimbaient ses traits. Elle croisa les bras contre sa poitrine, restant malgré tout assez proche du brun pour pouvoir se faire entendre sans avoir à lever la voix et alerter tout l'immeuble.

Qu'est ce qu'il se passe ? Tu me fais quoi là à te comporter comme un con ?! Je te reconnais pas Audrain. Je sais que ça t'emmerde qu'il soit là mais regarde toi, on dirait que t'es prêt à le mordre. Juste parce qu'il est sympa avec moi et que... que je lui plais peut-être ? C'est ça le problème, vraiment ? Tu ne l'aimes pas parce que je lui plais ? Mais tu sais Audrain, t'as perdu le droit d'être jaloux le jour où tu m'as quittée en laissant un post-it de merde sur ma table. Où j'ai dû t'envoyer je ne sais pas combien de messages et t'appeler pour que tu daignes me dire que t'étais en vie et où tu étais parti. Et je suis allée jusqu'à chez ton pote pour te ramener tes affaires malgré tout ! Et là alors qu'encore une fois je viens vers toi, je t'invite chez moi, tu te comportes comme un gamin ? Je... Tu me fais chier, vraiment.

Elle en avait dit bien plus que ce qu'elle avait imaginé. La peine ressentie face à l'abandon vécu, face au manque d'explications, face au vide qu'il avait laissé aussi soudainement qu'il avait rempli sa vie, sortit en flot sous le coup de la colère. Elle ne lui avait pas pardonné, finalement, d'être parti ainsi. Et elle tolérait encore moins qu'il puisse se sentir légitime à juger sa vie et ses connaissances. L'envie de se glisser dans ses bras pour tout oublier était forte, mais la jeune femme savait que ce ne serait que temporaire.

Pourquoi t'es parti comme ça ?

Ce naturel, toujours, vint s'immiscer entre eux. Elle ne s'en étonna même pas, comme si au fond c'était ce qu'elle attendait. Sa hanche se fondit au creux de sa main, sa joue se posa inconsciemment contre sa paume. Il avait eu envie de rester. Elle ne lui avait jamais demandé de partir. Pourquoi cette incompréhension alors entre eux, alors même que les lèvres du brun trouvaient les siennes, qui ne cherchèrent pas une seconde à fuire. L'attirance était aussi claire que l'impossibilité de quelque chose de sérieux entre eux. Et quand il la relâcha, prétextant vouloir nettoyer, retrouvant ses airs détachés qu'elle maudit sur l'instant, Charlie eut un soupir, comprenant, ou plutôt s'avouant, enfin ce qu'elle voulait. Et ce qu'elle ne voulait pas.

Tu passes ton temps à partir plutôt qu'affronter... Je n'ai pas envie d'être celle qui arrange tout à chaque fois. Je n'ai pas envie d'avoir à décrypter le vrai du faux.

Elle fit un pas vers lui, déposa un baiser au coin de ses lèvres. Sa main serra brièvement la sienne, et elle recula, la gorge nouée. Elle l'adorait, plus que ça même, ce beau brun qui était revenu comme une tornade dans sa vie, bousculant ses principes et ses habitudes. Il avait dépassé le cap du petit frère, puis celui du simple ami. Il pourrait être plus, mais la bouclée avait besoin d'un sentiment de maturité, de sécurité, d'épaule solide pour envisager quelque chose de sérieux. Sans ça, elle ne sentait prête qu'à une certaine frivolité, comme ce qu'ils avaient déjà connu...

La porte s'ouvrit et Charlie sortit pour rejoindre la cuisine. Son visage retrouva un sourire d'excuse face à Rhys, qu'elle espérait ne pas mettre dans une situation trop gênante. Attrapant une assiette, la jeune femme commença à servir.

Désolé hein. Tu as très faim ? J'ai fait à manger pour tout le quartier encore ! Tiens.

Elle déposa une assiette sur la table, avant de recommencer avec les deux autres. Elle ignorait si Audrain resterait ou non, mais elle n'avait aucune envie d'aller le retrouver pour lui demander et rajouter de l'embarras entre eux trois. Alors elle s'installa à table, le laissant les rejoindre s'il le souhaitait, et reprit son rôle d'hôte un peu plus convenablement.

Donc cet entretien ? Tu as trouvé quelque chose ?

Les deux jeunes avaient disparu en un éclair, direction la chambre à coucher, la porte claquée derrière eux. Declan les suivit du regard jusqu’au dernier moment, avant d’esquisser un léger sourire : le chaton avait un peu trop hérissé le poil au gout de la patronne apparemment. S’ils avaient été potes, il lui aurait peut-être conseillé de calmer le jeu, mais c’était loin d’être le cas alors…

Le métamorphe se retourna vers la poêle dont le contenu continuait sa cuisson. Il renifla encore une fois les odeurs qui se dégageaient du plat avant de s’installer sur une des chaises. De l’autre côté de la porte, il y avait quelques bruits de voix, mais impossible de comprendre ce qui s’y passait. Rhys se demanda si ce n’était pas l’occasion de récupérer quelques informations en utilisant son pouvoir, puis se ravisa. *Et si y’avait une caméra dans l’coin ?! * Trop risqué. Il ne connaissait pas assez bien les lieux. Au lieu de ça, il se contenta de tenter d’écouter à distance, sans grand succès, jusqu’à la porte ne s’ouvrit à nouveau, permettant le retour de Charlie. Elle lui lança un sourire, qui lui semblait à mi-chemin entre gêne et excuses.

Lorsqu’elle servit l’assiette, il lui fit un léger sourire tout reprenant, jetant brièvement un regard vers la chambre d’où devait normalement sortir le chaton :

- Merci. Bon ap’ !

Il enfourna une première bouchée, savourant un instant les différents goûts qui lui excitaient les papilles.

-  Et Ouais, j’me suis dégoté un entretien pour bosser dans l’bâtiment. C’pas l’boulot l’plus facile, mais ça paye bien. J’dois rencontrer l’chef de chantier, apparemment ils ont du r’tard et recrute de la main d’œuvre pas chère pour compenser.

Un nouveau coup de fourchette puis de poursuivre :

- S’tu veux mon avis, les gars qui s’ront pris pour l’taff seront pas déclarés, héhé, mais bon, tout l’monde y trouve son compte : on s’ra un poil mieux payés et ça leur coutera un peu moins d’fric à eux…

Nouvelle pause, alors que son regard se déplaçait entre Charlie et la chambre, s’attendant à voir arriver le jeune d’un moment à l’autre, si ce ne fut pour rester manger, au moins pour évacuer les lieux…

Malgré l'odeur qui se dégageait du plat, la bouclée n'avait plus vraiment faim et elle jouait plus qu'autre chose avec sa fourchette dans son assiette, tout en écoutant Rhys. Un entretien d'embauche donc, comme elle l'avait supposé. Et dans le bâtiment. Il n'aurait sans doute aucun mal à être pris avec son physique. Un physique qu'elle essayait de plus regarder, se contentant de garder ses yeux sur le visage du barbu. Elle se permit toutefois une légère moue suite aux précisions qu'il apporta.

Fais attention tout de même, s'il t'arrive quelque chose et que tu n'es pas déclaré... Je ne pourrai pas tout soigner.

Elle lui sourit doucement, lui proposant ainsi à demi-mots de revenir, si jamais il se blessait de nouveau. Il n'y avait même pas d'arrière pensée dans ses mots, juste sa bienveillance naturelle qui s'exprimait.

Et du coup, tu as changé de coin pour... vivre ? Tu as trouvé quelque chose ou c'est prévu ?

Ca lui semblait la suite logique, après tout. Et puis comment allait-il faire chaque jour pour se préparer et même se reposer après une journée sur un chantier ? La rue n'était franchement pas adaptée, pour peu qu'elle le soit pour quelque chose... Ses yeux finirent par suivre ceux de Rhys qui pointaient vers la chambre, et une foule de questions vint à l'assaut de son esprit, tournant principalement autour de l'occupation que pouvait y avoir Audrain. Elle finit par reposer sa fourchette d'un geste un peu las.

Il finira par sortir... Il ne vit pl... pas ici.

La jeune femme, comme à son habitude s’inquiétait pour autrui, quelque part au fond de lui, Rhys trouvait cette démonstration de générosité tellement admirable, alors qu’il sortait tout juste de la rue, Charlie l’invitait chez lui, était prête à l’aider et lui tendre la main, sans rien attendre en retour…

- Ouais, t’en fais pas, j’f’rai gaffe, même si j’suis sûr qu’tu s’rais bien capable d’tour réparer !

Elle l’avait déjà fait, et il lui sourit également à ce moment-là, entendant bien, l’invitation et y répondant avec un intérêt tout particulier. Pas d’arrières pensées immédiates, mais la petite voix elle, voyait bien d’autres avantages à venir que simplement se faire soigner… Ce n’était cependant pas le moment, et ils étaient encore loin de ces activités là…

Avait-il changé d’habitation ? Oui. Pouvait-il vraiment lui dire qu’il squattait une vieille maison abandonnée, qu’il s’était approprié le toit en virant les autres squatteurs à coup de poings, pour en faire son propre repère ? Non…

- Nan, pas vraiment..  Je squatte ici et là pour l’moment. C’est suffisant... Si j’décroche ce job, j’verrai peut-être pour aut’chose…

Quand la jeune femme finit par remarquer les observations que le métamorphe faisait en direction de la chambre, elle commenta le sujet d’un ton las, dévoilant aussi quelques informations intéressantes. Audrain avait donc vécu ici un temps, mais n’y vivait plus.

Finalement le chaton finit par sortir de sa petite tanière, les oreilles baissées et la queue entre les jambes. Il rejoignit la table sans dire un mot. Un simple merci au moment de s’installer. Il le laissa commenter le plat, alors qu’il portait sa propre fourchette à sa bouche.

- Délicieux même… T’es aussi bonne cuisinière que soigneuse apparemment Charlie ! C’plat est aussi bon que la couture que t’as laissé sur flanc, précise, nette et esthétique.

Petit rappel des soins qu’elle lui avait prodigué, alors qu’il lui adressait un sourire presque charmeur… Il tourna la tête vers Audrain, un instant seulement, avant de replonger son regard dans l’assiette, prendre une fourchette et de poursuivre :

- Et toi alors, Audrain, tu vivais ici – avant, si j’ai bien capté. Et maintenant, tu fais quoi ?

Mettre les pieds dans le plat ? Comment ça ?...

Quelques informations filtrèrent encore sur les récents changements dans la vie de Rhys, que Charlie approuva d'un léger sourire. Elle mourait d'envie de lui demander s'il avait revu le chien, mieux, s'il l'avait pris avec lui, mais elle se retint au dernier moment, ne souhaitant pas revenir sur cette affaire toujours légèrement obscure et qui avait surtout créée une certaine tension entre eux. Ce n'était pas vraiment le moment, d'autant qu'Audrain refit son apparition et s'installa avec eux pour le plus grand soulagement de la jeune femme.

Son commentaire sur le plat lui tira un sourire et un coup d'oeil faussement menaçant, empli de cette complicité qu'ils connaissaient si bien, avant que celui de Rhys lui en arracha un bien plus large. Cela lui faisait plaisir, même si elle sentait bien que la suite lui était autant destinée qu'à Audrain, sinon à quoi bon lui rappeler les soins qu'elle lui avait apportés, et à cet endroit précis de son corps ? Mais ce fut surtout la question qu'il posa au jeune homme qui la surprit. Sous l'aspect anodin se cachait un réel sous-entendu qui n'échappait à personne, et Charlie tourna son visage vers lui, se demandant depuis quand le SDF pouvait s'intéresser ainsi à ceux qui avaient partagé sa vie. Audrain avait-il vraiment raison à son sujet ?

Son téléphone sonna à ce moment là. La bouclée se leva pour le récupérer, s'excusant pour répondre à sa mère, s'éloignant un instant à la fenêtre du salon, celle là même où elle s'était posée avec le brun un peu plus tôt. Un brun maintenant en tête à tête avec le barbu...