Dans le mille

DANS LE MILLE

Une lecture dans un hôtel... J'essaie encore de comprendre en quoi ça pourrait m'aider à vendre des livres, je ne comprends toujours pas. Les gens savent qui je suis, je n'ai pas besoin de me faire de la pub comme si je venais de publier mon premier livre et que j'étais en mal de notoriété... Enfin. Mon éditeur me dit que c'est ce qu'il y a de mieux pour moi. Je ne cache pas mon agacement mais je le fais, il a souvent rattrapé mes erreurs, je peux au moins faire ça pour lui.

J'entrais donc dans la fameuse salle de réception pour vérifier que tout était bon. Mon éditeur stressait. Je pouvais presque sentir son rythme cardiaque. Tout le monde aurait pu le sentir. Il avait peur que ça ne me plaise pas et que j'annule à peine quelques minutes avant l'événement. Ce ne serait pas une première, d'ailleurs. J'apportais une attention toute particulière à la mise en scène. Je faisais attention à tous les détails. C'est peut-être ce qui faisait que j'étais un si bon auteur. Attentive à la décoration dans la salle, à ma tenue, essayant le micro. Tout devait être parfait. Je n'aimais, certes, pas les fans, mais j'aimais l'univers que je voulais leur faire découvrir. Ce serait une terrible erreur de ma part de bâcler mes lectures. Ce ne serait pas professionnel.

Après avoir tout vérifié et avoir demandé à modifier deux, trois détails, je donne mon feu vert. L'éditeur, qui retenait son souffle jusqu'ici, lâche un soupire de soulagement et motive son équipe pour les changements de dernières minutes. Tandis que les gens s'agitaient autour de moi, je prenais place sur mon pupitre pour choisir le passage à lire. Les auteurs avaient tendance à lire le premier chapitre pour ne pas se mouiller. Il n'y a rien de pire qu'un premier chapitre pour dégoûter à la lecture. Est-ce que la bande annonce d'un film se base sur les dix premières minutes du film ?

Les gens finirent par entrer dans la salle et s'installer. Le personnel de l'hôtel était à la porte pour y assister également. J'avais même fait venir un pianiste pour accompagner ma lecture. J'attendais le silence complet dans la salle : il n'y a que comme ça que j'aime lire. Impossible de se concentrer sur une histoire avec des bruits parasites. Une fois le silence obtenu, j'attaquais directement mon histoire. Pourquoi s'encombrer de politesses inutiles ? Je n'étais pas ici pour me faire des amis, eux non plus. Après quelques minutes de lecture, nous en venions au moment fatidique de la scène :

« Cary avançait le long de ce couloir étroit. Elle se demandait bien ce qu'il lui avait pris d'entrer dans cette sinistre maison. Mais au fond, elle le savait : Cary était naïve. Cary avait toujours été la bonne poire. Celle à qui on demande des services, jamais celle à qui on en rend. Mais ça n'avait jamais dérangé Cary. Cary était docile. Gentille. C'en est presque pathétique, parce qu'aujourd'hui, Cary était le dindon de la farce. A vouloir trop bien faire, elle se retrouvait dans une situation digne d'un film d'horreur. Mais Cary avait appris. C'est comme ça qu'elle apprend. Il lui faut des situations absurdes pour pouvoir comprendre ses erreurs. Cette fois-ci elle apprendrait. Si elle en sortait vivante.

Un éclair retentit. Ce qui la fit sursauter. Ce n'est que l'orage, sombre idiote, pensa-t-elle. Et pourtant. Une main lui agrippa les cheveux et la tira en arrière. Son rythme cardiaque s’accélérait. Elle se débattit, tant bien que mal... »

Je m'arrêtais soudainement, dérangée par un bruit parasite. Deux personnes qui pouffent de rire au milieu de l'assemblée. Je les fusille du regard un instant. Elles me dérangent. Et pourtant, j'ai presque l'impression que c'est moi qui les gêne dans leur petite bulle d'idiotie. Elles finissent par s'arrêter. Je souffle un coup et compte dans ma tête comme mon psychologue me l'a si souvent conseillé. 1... 2... 3. Tout va bien, Nora.

« Un éclair retentit. Ce qui la fit sursauter. Ce n'est que l'orage, sombre idiote, pensa-t-elle. Et pourtant. Une main lui agrippa les cheveux et la tira en arrière... »

Un rire étouffé, cette fois. Je serre les dents, relève la tête pour les fixer plus férocement cette fois. Elles ne semblent pas remarquer qu'elles ont mis fin à ma lecture. Je souffle discrètement pour me calmer. 1... 2... Mais c'est plus fort que moi. J'attrape brusquement le livre sur mon pupitre et le balance à travers la salle. Il atterrit pile sur la tête de l'une des deux filles qui se permettaient de déranger ma séance de lecture. Qu'est-ce que je vise bien, j'aurais peut-être dû faire une carrière dans le base-ball. Je me lève et fais tomber le micro au passage qui pousse un bruit assourdissant. Toute la salle se plaint de la complainte de mon micro, au sol.

« - Comment osez-vous manquer de respect à l'auteur pendant sa lecture ? Bande d'idiotes, vous ne savez pas ce qu'est l'art. SORTEZ.
- Mais elle est tarée ! Je vais porter plainte ! Tu vas le payer cher ! Artiste, mon cul ! »

Mes yeux sortent presque de leur orbite. Déterminée, je descends de l'estrade pour fondre sur ma proie mais me fais rattraper de justesse par mon éditeur qui essaie de me raisonner.

« - Souffle, Nora, compte jusqu'à trois !
- Je vais tuer cette salope. »

Il me tire dans une autre salle pour me calmer et laisser le temps au public de s'en aller. Encore une lecture ratée de la grande Nora Williams.

Vingt minutes plus tard, dans le grand hall, je regarde les employés ranger les affaires et porter mes livres dans les camions qui attendent dehors. Mon psy va se régaler de cette histoire. Il faudrait que je contacte Joséphine, encore une fois, pour pouvoir régler cette histoire sans y perdre trop de plumes. Je soupire, agacée par mon propre comportement. J'avance vers le groom et m'appuie au mur tout près en le détaillant du regard. Je prends mon air le plus détaché, croisant mes bras pour signifier encore plus mon agacement.

« - Réaction disproportionnée. Vous êtes sûr que demain, ça fera la Une des journaux. Vous venez d'assister à la folie de la grande Nora Williams. Vous voulez une photo, pour les réseaux sociaux ? Vous pourrez dire que vous y étiez. »

(c) AMIANTE

Une lecture. Une putain de lecture. Ca, c'était le genre d'évènements que le remplaçant de Jacob avait décidé d'instaurer à l'hôtel, comme si celui-ci avait besoin d'une nouvelle pub pour voir ses suites remplies. Après donc la vente aux enchères, ils avaient le droit à une lecture. Ca serait quoi la prochaine fois ? Un concours de chapeaux ? Putain, Jacob devait se retourner dans sa tombe, lui qui veillait toujours au choix de ses clients et à ceux qui pénétraient dans l'enceinte de l'hôtel. Et là le nouveau boss faisait venir une tonne d'inconnus pour écouter une gonzesse lire son histoire. Heureusement que c'était lui aussi un sympathisant des Rats, sinon Elijah aurait rendu sa cravate depuis un moment. Et tu te serais retrouvé sans couverture clean, crétin. Il souffla la fumée de sa cigarette, agacé, avant de l'écraser au fond d'un cendrier et de rejoindre le reste du personnel qui attendait près de la porte de la salle. Au fond, ce qui agaçait vraiment le brun, c'était surtout qu'il n'avait qu'une très vague idée de qui était la nana et encore moins de ce qu'elle pouvait bien raconter dans ses bouquins. Il n'avait même tenté de prendre celui mis en exposition pour en découvrir le quatrième de couverture, il aurait à peine pu en déchiffrer le titre.

Alors il se retrouvait là, comme un con, à attendre que ça commence avec quelques autres voituriers et porteurs, parce qu'on lui avait demandé de le faire. Une sorte de service d'ordre imposée par la direction de l'hôtel, au cas où. Au cas où quoi au juste ? Qu'un débile foute le feu à la pile de bouquins qui attendait sagement qu'on l'achète ? Qu'un vieux s'endorme en ronflant ? Qu'un gosse se mette à chialer ? C'était assez ridicule, mais ça lui ferait un truc à raconter à Lark qui sortait de l'ordinaire. Et puis peut-être que la jolie brunette connaîtrait l'auteure, elle.

Auteure qui s'installa enfin, tirant une tronche qui indiquait tout autant que lui son plaisir d'être là, et débuta sa lecture. Rapidement, Elijah fut perdu dans le flot des mots. Il n'en comprenait pas certains, se demandait si d'autres existaient vraiment, et perdit ainsi le fil de l'histoire. Mais il fut ramené à la réalité quand le livre vola à travers la salle pour atterrir dans le crâne d'une des spectatrices juste avant que l'écrivaine ne se mit à gueuler d'un coup, en rajoutant par dessus l'affreux larsen de son micro. Oh putain ! Il se retint de rire, pour aider à faire sortir le public de la salle, s'excusant au nom de l'hôtel pour le désagrément. Ca n'allait pas plaire au boss ça et cette nana n'était pas prête de revenir fouler le marbre de l'hôtel...

Quand le calme fut revenu, Elijah reprit sa place habituelle, réajustant légèrement sa cravate d'une main tatouée quand la fameuse Nora Williams débarqua près de lui, attendant sans doute son chauffeur ou son équipe. L'homme ne comprit pas tout de suite que c'était à lui qu'elle s'adressa, et il haussa d'abord un sourcil circonspect en lui rendant son regard avant de répondre avec sa nonchalance habituelle :

Je touche pas vraiment à ça hein, mais merci de la proposition, ouais. Moi j'ai trouvé ça... cool. Je pensais que ça allait être suuuuper chiant, genre méga coincé et tout. Mais vous, vous avez le sens du spectacle hein. Sérieux, c'était le meilleur moment de la semaine ici, croyez moi.

Il disait ça sérieusement en plus, sans l'ombre d'une moquerie dans sa voix. L'hôtel connaissait parfois quelques coups de sang de certains clients, mais cela avait lieu la plupart du temps dans une chambre, ou à l'accueil, jamais devant un parterre de spectateurs. Et surtout, ces gens là le faisaient parce qu'ils prenaient tout le monde de haut, parce qu'ils s'imaginaient dans leur droit de demander des services invraisemblables, ou juste par envie de faire chier celles et ceux qu'ils estimaient inférieurs. La femme qui lui faisait face y avait mis une énergie qui lui avait semblé sincère, et Elijah n'en était que plus admiratif.

Fallait oser franchement. Je vous connais pas hein, j'ai jamais touché un de vos bouquins, mais ça c'était couillu. J'espère pour vous que vous serez pas trop emmerdée. On se laisse trop souvent faire dans ce monde.

Il avait dépassé les limites de la politesse que son rôle ici exigeait de lui, peut-être poussé par l'attitude de l'écrivaine qui lui paraissait plus que capable d'entendre pareilles paroles et de ne pas s'en offusquer. Dans le cas contraire, si jamais elle venait à s'en plaindre, il ferait son mea culpa en bonne et due forme. Serrer les dents et ravaler sa salive ne seraient pas la première fois depuis qu'il travaillait là...

DANS LE MILLE

Je le fixe un moment, interloquée. La seule chose qui lui permet de savoir que je suis vivante, c'est les quelques battements de cils que mon cerveau fait machinalement. Est-ce qu'il vient de dire dans une seule et même phrase, que je suis chiante et cool ? Est-ce qu'il vient de faire une antithèse avec un naturel déconcertant ? Encore un artiste incompris... Je pose deux doigts sur mes lèvres en plissant légèrement mes yeux, essayant de peser le pour et le contre. J'ai la même tête que les bobos de banlieues qui regardent une œuvre d'art en faisant mine de l'étudier et la comprendre. J'avais plutôt l'habitude qu'on soit furieux après ce genre de réactions, qu'on me juge. Mais lui avait l'air de trouver cela... Bien ? Le meilleur moment de la semaine... Waw, si c'est pas inhabituel. Je penche ma tête sur le côté. C'est comme s'il me parlait dans une langue étrangère, là, je me demande si c'est cela que ressentent les victimes de mon pouvoir.

Il ne me connaît pas. J'aurais presque pu défaillir. Mon égo en prend un coup et en même temps, je suis plus flattée que n'importe quel compliment d'un fan hystérique qui a collé mon portrait sur tous les murs de sa chambre. Je lance un rire sincère et d'une extrême rareté. Je passe mon temps à faire la gueule, alors quand mon éditeur me voit au loin, il en oublie presque son interlocuteur au téléphone. Je me tourne vers l'homme en regardant son nœud de cravate. Est-il vraiment parfaitement droit ? Je suis presque tentée de le vérifier en tendant la main, mais me retiens au dernier moment, faisant mine de lui retirer une poussière sur l'épaule.

« - Je vous aime bien. J'ai rarement vu une personne d'une si grande honnêteté. Vous êtes un diamant brut. Ne laissez personne vous polir, vous allez devenir aussi chiant que les autres. Aussi chiant que moi. »

Je rigole à nouveau, pour moi-même, cette fois. Des problèmes ? Si seulement il savait, c'était mon lot quotidien. Non pas que je le fasse exprès, c'était plus fort que moi. Les gens avaient tendance à me voir comme une tarée qui avait besoin d'un bon séjour en asile. Mais j'ai juste un sens un peu trop aigu de la justice, de la politesse, ce genre de choses... Ah, et c'est vrai que je n'aime pas vraiment être ignorée, mais c'est encore un autre problème. Je hausse les épaules et me tourne vers lui. Puis faut avouer que cela met un peu de piment dans la routine.

« - Chaque sortie est un événement. Les gens sont d'une extrême impolitesse. Et après ils disent que c'est moi la taré ! Ils me font chier et je leur rends bien. Je suis juste pas du genre à me laisser faire. Et cet idiot d'éditeur me laisse plus prendre le volant parce que j'ai fait trop de conneries et que je vais peut-être perdre mon permis. Juste pour un ou deux excès de vitesse. On peut dire que c'est excessif. »

Quelle blague de merde. Comme d'habitude, d'ailleurs. Pourquoi je me demande toujours si j'ai pas d'amis. Je secoue la tête, excédée par moi-même. Est-ce qu'il y a des cours pour devenir drôle, ou un truc du genre ? Je hausse les épaules et quand mon éditeur insiste pour que je le rejoigne, je lui fais un doigt. Dépassé par les événements, il continue sa conversation téléphonique un peu plus loin.

« - A sa décharge, il fait un plutôt bon travail. Pleins seraient partis en courant. Mais ne vous méprenez pas, il est opportuniste. Je suis sa poule aux œufs d'or. Petit salaud. »

Petit coucou et sourire hypocrite avant que je ne retourne l'attention sur l'homme face à moi. J'hésite quelques secondes, puis tend ma main. Je ne suis pas une graaaande fan du contact physique quand je ne connais pas la personne. Mais vu que c'est un diamant brut...

« Ah oui, c'est vrai, vous ne me connaissez pas. Nora Williams, enchantée. Je l'ai déjà dit, non ? Et vous ? Vous travaillez ici depuis longtemps ? Ça vous plaît ? Si le patron vous ennuie trop, n'hésitez pas, j'ai des supers avocats. »

(c) AMIANTE

Il se mit à rire, s'attirant quelques regards aussi surpris que curieux de ses collègues. Elle était marrante cette gonzesse. Elle enchainait les vannes, à base de diamant brut et de jeu de mots sur sa vitesse de conduite. Il aimait bien ça, Elijah, les gens qui ne se prenaient pas la tête et qui se comportaient normalement, ce qui pour lui signifiait sans faux semblant, que cela plaise ou non. Car que ce fut à l'hôtel, dans les baraques qu'il cambriolait ou les magasins qu'il faisait sauter avec les Rats, il ne trouvait là bas que des crétins prétentieux et hypocrites. Et il avait parfois l'impression que le monde entier en était peuplé...

Les gens sont des cons qui pensent mieux savoir que les autres. C'tout.

L'homme eut un nouveau rire, plus étouffé, quand l'écrivaine se permit d'offrir à celui qu'elle désignait comme éditeur un magnifique doigt d'honneur. Cette nana avait du caractère, c'était certain. Elle le démontrait autant dans ses attitudes que dans ses mots. Ses bouquins n'étaient peut-être pas si chiants finalement, mais ça il ne le saurait probablement jamais. A moins qu'on lui lise. Ou qu'il écoute un de ces machins enregistrés. Putain non, ça doit être casse-couille quand même... Il se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas se marrer à cette réflexion, et serra la main tendue vers lui, sans grande considération pour les doigts de la jeune femme. La seule princesse à laquelle il faisait attention était loin de lui, et il n'avait aucune raison de considérer l'auteure de cette façon, ou de prendre mille précaution parce que c'était une femme.

Elijah. Cobblepot. Ca fait quelques années que je suis là ouais, l'ancien boss était... une connaissance. On embauche pas sinon un mec comme moi dans ce genre d'endroit. Mais les seuls avocats que j'ai connu, ils étaient commis d'office. Pas les moyens pour autre chose, m'dame. Et j'espère bien plus en avoir besoin.

Parce qu'il savait très bien que la prochaine fois qu'il se ferait attraper, il n'était pas près de sortir, surtout si ses activités avec les Sewer étaient découvertes... Il haussa un peu les épaules, avant d'ouvrir la bouche pour renvoyer sa question à Nora :

Et... et... v... v.... vous.... ça... f... FFF....

Merde c'était quoi son problème ? Pourquoi n'arrivait-il plus à aligner deux mots correctement ? Il pointa un regard surpris vers Nora. C'était elle qui le faisait bégayer comme ça ? Une sorte de pouvoir ? Putain ça serait bien un pouvoir de merde ça, pire que le sien ! Ou bien c'est ton cerveau qu'a fini de cramer, avec tout ce que tu t'aies envoyé hein...

DANS LE MILLE

Je le regarde rire et j'affiche un léger sourire en coin. Ma blague a eu du succès, j'ai de l'humour, finalement. Les gens sont cons, il ne pouvait pas mieux dire. Ils le sont profondément. Il y a un fossé entre eux et moi. Un fossé entre eux et lui aussi, visiblement. Ils ne comprendront jamais les gens comme nous. Ils nous jugeront sans cesse, ne seront jamais satisfaits, nous regarderont de haut, pensant qu'ils possèdent la sainte parole et qu'il n'y a que leur avis qui vaille la peine d'être écouté. Nous, nous sommes les autres, les fous.

« Les seuls gens vrais pour moi sont les fous. »

J'avais pensé ces mots tellement forts, que je les avais dit à voix haute. Citation de Jack Kerouac. Quand j'ai lu ces lignes, il y a longtemps, j'y ai trouvé un grand réconfort. Je n'avais pas besoin de plaire à ces gens, je m'en fichais. J'ai arrêté de prêter attention à ce qu'ils pensent de moi. Je les emmerde. J'agis selon mes envies, je n'aurais ni regrets, ni remords.

Je grimace à notre poignée de main. Quelle force ! Je n'arrivais même pas à pousser les portes trop lourdes. Doigts écrasés en plus de ne pas aimer les contacts physiques. Double peine. Mais cela en valait la peine, je pense. Je masse rapidement mes mains pour faire passer la douleur.
Elijah. Joli prénom. Je le garde bien en mémoire. Je reviendrai dans cet hôtel, que le gérant le veuille ou non. S'il ne le veut pas, je mettrai un avis négatif sur son hôtel pour qu'il coule. Pleins de fans énervés qui mettent des 0/5 sur tripadvisor, c'est jouissif quand on aime pas quelqu'un. Ce serait pas la première fois que je le ferai, après tout. Quoi, collante, moi ? Un peu d'attention et je m'accroche, comme une sangsue, en demande.
Il a connu des avocats... Commis d'office, mon Dieu, vraiment les pires. Il est aussi hors la loi que moi, j'ai juste la chance d'avoir de l'argent pour pas finir en prison. Je sors une carte de mon élégante petite pochette en daim et la lui tend.

« Au moindre problème, appelez-moi, Elijah. Besoin d'un hébergement, d'un avocat, d'argent. N'hésitez pas. Je vous aime bien, vu que ça n'arrive qu'une fois par an, profitons-en. A une seule condition... »

Je m'approche, presque menaçante, l'attrape par sa cravate pour qu'il se mette à ma hauteur – il est sacrément grand – et lui chuchote.

« Ne m'appelez plus jamais Madame. »

Je le lâche et lui adresse un grand sourire. Quoi ? Lunatique, moi ?

« Après tout, je suis jeune et belle. Pas encore assez âgée pour me faire appeler Madame. »

Quoi ? Narcissique, moi ?
Soudainement, il bégaye. Impossible de finir sa phrase. Il me regarde, surpris, et je lui rends son regard. Qu'est-ce qui lui prend ? Il a pris de la drogue pendant ma lecture ? Je fronce légèrement les sourcils et regarde autour de nous, espérant trouver la raison de son problème.

« Je suis si belle que vous en perdez la voix ? Ça alors, c'est bien la première fois que ça m'arrive. »

Je réfléchis un instant. Si je suis trop belle et que mes charmes sont si intimidants, mes fans ne pourront plus en placer une. Mon Dieu, le rêve, ne plus répondre aux questions, ne plus devoir faire comme si j'étais sociable. Quelle bonheur ! Je crois que je prends mes désirs pour une réalité. Je touche son front du bout de mon index manucuré pour « prendre sa température ». Mais j'ai rien pris du tout, en vérité.

« Je vous ai cassé ? Je vous jure que j'ai rien fait, Elijah ! »

Je sais pas quoi faire. Je lève les mains, je les baisse. Je regarde à nouveau autour de nous. Je me crois dans un épisode de Doctor House. Si ça se trouve, il a une pathologie incurable. Je le secoue gentiment en pensant qu'il s'agit d'un décodeur qui veut plus marcher. Sans succès.

« Vous voulez que je vous tape dans le dos ? Oh, attendez, peut-être que c'est dans la gorge ? Ouvrez bien grand la bouche ! »

J'approche mes doigts de sa bouche pour aller en mission sauvetage.