Cela commençait à faire un moment qu'il n'avait pas fait ça. Deux ou trois mois peut-être. Il s'était promis de ne plus prendre de risques, d'arrêter les coups foireux, de ne rien faire qui pourrait lui coûter un nouveau séjour en taule s'il se faisait prendre. Mais voilà, les vieux démons lui collaient toujours à la peau, et quand le moral s'y mettait, le cocktail était trop tentant pour qu'il n'y succomba pas. Il avait besoin de se changer les idées et une part de lui espérait trouver une nouvelle babiole qui plairait à Lark, pour remplir leur appartement et combler cette distance qu'il sentait bizarrement croître entre eux. Il n'arrivait pas à se l'expliquer, ne savait même pas s'il hallucinait ou s'il avait raison, mais c'était après la mort de Jacob et le départ d'Andreas la goutte de trop pour le vase déjà brisé qu'était Elijah.

Alors il était revenu à Hillcrest Heights, dans l'une de ces rues bondée de baraques toutes plus immenses les unes que les autres. L'envie de faire exploser un feu d'artifice géant pour alarmer le voisinage en pleine nuit le titilla, mais ces cons de bourgeois seraient foutus de croire que c'était là le point d'orgue d'une fête donnée dans le coin par un père plein aux as pour le mariage de sa fille adorée... Il soupira, toutefois ce fut d'un geste décidé qu'il arrangea la longue perruque de cheveux noirs sur son crâne et reboutonna le haut de sa robe. Masqué, ganté et déguisé en Katy, il sortit de sa voiture pour longer les ombres d'une ruelle avant de bifurquer dans une autre. Il avait repéré la maison un bon moment auparavant, opulente, sentant le fric à plein nez et pour cause, le Sewer avait découvert que c'était celle d'un banquier. Si en plus c'était un humain, ce serait le coup parfait.

L'homme s'approcha, neutralisa l'alarme rapidement à force d'expériences, et déverrouilla l'entrée. Il vérifia que son arme était bien en place, coincée par sa ceinture dans son dos, et pénétra dans la demeure. Comme prévu, aucun son ne lui parvint, et après un rapide tour pour s'assurer qu'elle était bien vide, il put commencer son shopping. Son sac se remplit peu à peu, avant qu'i n'avisa le bar. Péché mignon que voilà. Un énième diraient les mauvaises langues. Ou simplement ceux qui le connaissaient. Une autre promesse qu'il s'était faite. Ca va, un verre, c'est rien. Et comment résister à pareil choix ? Un instant, le souvenir de ses retrouvailles avec Andreas, son frère d'orphelinat, dans des conditions quasi similaires, le hanta, serrant son coeur et son gorge bien plus qu'il ne l'avouerait jamais. Fait chier putain. Il avait intérêt à être heureux au moins avec sa rousse celui-là !

Une bouteille de whisky dans un main, Elijah se laissa tomber dans le canapé. Il grogna en sentant le flingue appuyer contre sa colonne, mais l'odeur suave qui se dégagea du goulot quand il déboucha l'alcool lui fit rapidement oublié cet inconvénient. Rangers posées sur la table basse, masque légèrement relevé, il s'envoya une longue lampée au fond de la gorge... Putain, ce que ça faisait du bien...

Putain de journée ! Putain de clients ! Putain de vie !

Rien n'était allé comme il voulait, aujourd'hui. D'abord l'entretien mensuel ne s'était pas bien passé avec son père parce qu'un débile s'était plaint des refus constants d'Andrew sur ses projets plus farfelus les uns que les autres, ensuite le rendez-vous avec les associés qui avaient encore doutés de ses compétences et qui ont émis l'idée de le faire partir parce qu'ils estimaient qu'il n'était pas à la hauteur de son paternel, puis le repas avec sa mère et Edwin qui en avait encore profité pour réclamer de l'argent pour finalement faire une esclandre devant tout le monde. Enfin, le rendez-vous avec une riche héritière qui lui avait lancé de la sauce dessus parce qu'il ne voulait pas s'engager dans une vraie relation. Résultat, Andrew était de mauvaise humeur et il n'avait qu'une hâte, rentrer chez lui et décharger sa colère sur tout ce qu'il pouvait.

Il était rentré tard et en claquant la portière de sa voiture, il expira profondément en fermant les yeux. Plus que quelques secondes à supporter cette foutue journée. Quelques secondes avant d'être dans son antre et de virer son costume d'homme d'affaires. Remarque, suffirait qu'il soit victime d'une fuite d'eau pour combler cette journée déjà bien pourrie. Nouveau soupir d'agacement et l'homme entreprit de rejoindre son foyer, bien trop grand pour lui seul, à vrai dire. En s'approchant de la porte, il constata alors qu'une chose n'allait pas. Une faible lueur passait à travers un rideau mal fermé. Impossible donc de voir à l'intérieur mais il sentait que ça clochait. S'il y avait bien une chose qu'il aimait dans cette maison, c'était ses lampes à détecteur de mouvement, un truc hightec qui restait allumé tant qu'il captait une présence, même minime. Impossible que ce soit un animal puisqu'il n'en avait pas et la femme de ménage ne passait qu'en journée, d'autant que lorsqu'elle finissait tard, elle le prévenait. Alors pourquoi ? Un cambriolage ? Bah tiens, manquait vraiment que ça ! C'était pire que ce qu'il pouvait imaginer et c'était la goutte de trop.

Remonté au plus haut point, l'homme décida de passer par la porte arrière de sa demeure, introduit le plus silencieusement possible la clé dans la serrure et poussa tout aussi discrètement la porte pour la refermer sans un bruit. Lentement et précautionneusement, il enleva ses chaussures, posa son sac et se défit de sa foutue cravate ainsi que de sa veste tâchée pour être libre de ses mouvements. Ses pas le dirigèrent vers la cuisine où il attrapa un long couteau puis avança jusqu'à la pièce éclairée. Dans le salon, il vit une silhouette et se dirigea immédiatement vers elle pour la confronter, levant son arme a hauteur pour parer à toute éventualité. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que l'apparence féminine cachait un homme. Les yeux ronds, Andrew abaissa son bras, se contentant de dévisager l'inconnu dans sa tenue étrange. "Mais qu'est-ce que... ?" fit-il dans l'incompréhension la plus totale. L'autre était installé dans son canapé, une bouteille à la main, les pieds sur la table basse et tout détonnait avec sa tenue, désormais devenue grotesque. La notion de danger ? Oubliée. Le banquier était trop sidéré par la scène, cherchant même à parler sans qu'un son sorte de sa bouche. Une grognement plus tard, un frottement d'yeux du pouce et du majeur et toujours cet air de questionnement sur le visage, le financier releva finalement son couteau. "Hey, cassez-vous d'ici, c'est pas le moment d'me les casser." laissait-il échapper sans grande conviction.

Putain de merde. Elijah avait entendu les pas juste avant que la voix de l'homme ne résonna dans la pièce. Dans un geste réflexe, il s'était redressé pour attraper son arme et la tendre en direction de celui qui devait être le propriétaire des lieux. La lame qu'il tenait brilla dans la pénombre, et le Sewer eut un petit sourire, conscient de sa supériorité face au couteau. Un geste de sa part, et le tatoué n'hésiterait pas à tirer avant de prendre la poudre d'escampette, bien que blesser ce type était loin d'être son envie du moment.

Ok, mec, écoute, on va pas se fâcher hein. Pose ton couteau là et je range mon flingue ok ? T'sais moi, je fais que passer. Et j'ai bien fait, ton whisky est terrible.

C'était complètement con, de tenir pareil discours à un homme qu'on venait cambrioler. Mais c'était Elijah, et ses façons de faire étaient souvent hors des conventions. Si jamais il y en avait concernant les vols et les pillages de maisons... Lentement il décroisa ses jambes et les reposa au sol, maintenant toujours l'autre en joue, qui paraissait presque plus lassé qu'en colère de cette intrusion. C'était peut-être le moment d'essayer une autre approche.

Tu devrais t'asseoir et te prendre un verre aussi, t'as sacrément l'air d'en avoir besoin. Mais normal hein, j'imagine que pour tenir une baraque pareille, tu dois avoir un boulot dingue. Allez tu trinques et je me casse, ok ?

Il n'avait pas mentionné qu'il savait quelle était la profession de sa victime, ne tenant pas franchement à en rajouter à cette confrontation inédite. Car c'était la première fois pour Eli qu'il se tenait face à un habitant d'une maison qu'il visitait. Il s'était déjà introduit lorsque quelqu'un dormait, ou avait entendu des bruits de vie, mais il avait alors toujours pu s'enfuir sans être vu et sans avoir à menacer qui que ce soit. S'il n'hésitait jamais à se battre quand les circonstances s'y prêtaient, l'homme n'aimait pas pour autant sans prendre physiquement à des gens qui ne lui avaient rien fait, et ce banquier ne l'ayant encore ni insulté ni tenté de le blesser ne rentrait que dans la catégorie des connards à dévaliser sans agression... Il faisait des efforts pour rester calme et maîtriser son pouvoir, qu'il sentait pulser au même rythme que son cœur. La suite ne demandait que de cet inconnu, qui pourrait bien voir sa maison exploser en paillettes colorées s'il commettait un impair aux yeux du Sewer...

Les doigts crispés autour du manche de son couteau, Andrew tentait de démêler ses sensations. Il était en colère contre le monde entier, en colère contre ce... voleur ? Qu'est-ce qu'il était au juste ce type ? Cette femme ? A nouveau, le banquier abaissa son bras et grimaça. "Hey, t'es quoi au juste ? Une drag queen ?" qu'il demandait sans plus de cérémonie, trop perturbé par l'accoutrement de l'individu. De sa main libre, l'homme se gratta la nuque, l'air de réfléchir. Franchement, il irait pas bien loin, avec son pauvre couteau à viande, surtout face à un flingue. Un long soupir s'échappa de ses lèvres et il balança son arme au sol, venant s'affaler dans le fauteuil le plus proche. "Ouais, bah écoute, si tu veux me tuer parce que j'ai vu ton visage, fais le quand je serai complètement torché, s'il te plait." qu'il balançait en venant séparer sa table basse en deux, offrant à l'inconnu le plaisir de découvrir le bar caché à l'intérieur. Sans plus faire attention à l'autre, le banquier souleva les bouteilles une à une, cherchant ce qu'il pourrait bien boire. Le whisky, c'était trop souvent et puis la bouteille était revendiquée pour l'heure alors... du rhum ? Oh oui, du rhum pourquoi pas.

Après avoir sorti la bouteille et s'être servi un verre, l'homme se releva pour rejoindre sa chambre. Adieu fringues chiantes et pimpantes, bonjour short et t-shirt. Dans sa nouvelle tenue, l'homme fit un détour vers son tiroir pour prendre son paquet de clopes et le briquet qui l'accompagnait, petit plaisir interdit qu'il s'offrait lorsque ses journées étaient trop longues comme celle-ci. De retour au salon, Andrew s'alluma un batonnet de tabac et revint à sa place, allongeant ses jambes tout en évacuant la fumée de ses poumons. "Bon et du coup, t'as trouvé ton bonheur, j'espère."  fit-il en allumant la télé, zappant les chaines pour s'arrêter sur un match de hockey. "Si t'as prit des bijoux de femme, j'te demande juste de les rendre, ce sont les seuls trucs qui sont importants ici, la reste j'm'en branle." annonçait le jeune homme, trop las, de toute façon, pour se disputer à propos d'un quelconque vol sous son toit. A vrai dire, c'était même pas vraiment chez lui puisqu'il s'agissait avant tout d'une des nombreuses possession immobilière de son paternel.

Légèrement, le brun se gratta le bras et cendra dans un petit bocal avant de se pencher pour prendre son verre et en boire une longue gorgée, tandis que le liquide lui brulait la trachée un instant. Corsé mais tellement apaisant, finalement. Généralement, l'aîné des Walsh n'était pas du genre à taper la discut' avec un inconnu, n'appréciant pas vraiment la compagnie des autres vivants depuis l'accident mais ce soir, exceptionnellement, ça ne le dérangeait pas. "Si t'as faim, sers toi, le frigo est rempli. On peut aussi commander." rajoutait le greco-americain, tel un bon hôte. De toute façon, l'autre était là, il allait pas le déloger maintenant, pensant qu'avec un peu de chance, il se lasserait avant lui de cette étrange rencontre.

Ce qu'il était ? Elijah ne put retenir un petit rire. Il était tant de choses ! Criminel, fou, orphelin, illettré, recherché, super, amoureux, et encore d'autres. Mais ce n'était pas ça qui intéressait le propriétaire, et le tatoué eut un petit haussement d'épaules  alors qu'entre deux doigts qui ne tenaient pas la bouteille, il agita le bas de sa robe.

Naaan, un super héros, comme Batman. Sans la cape.

La suite le laissa plus stupéfait. D'abord, l'homme abandonna son arme avant de s'installer, oubliant presque toute défense, pour mieux découvrir un bar planqué dans une table. Un sifflement admiratif sortit d'entre les dents du Sewer, véritablement impressionné et appréciateur de la chose. Ca c'était un putain de meuble ! Ca devait coûter un rein, mais bordel, quelle classe ! Ce devait être impossible à voler, du moins seul, mais Elijah nota d'en trouver un similaire en haut de sa liste mentale... Puis l'autre alluma clope et télé, comme s'il était finalement avec un vieux pote, comme s'il n'y avait rien d'inquiétant à voir un homme armé chez lui. Le Rat devait bien s'avouer déstabilisé, mais pas pour autant mécontent de cette tournure inédite.

Pas pris d'bijoux, non, c'est chiant à r'fourguer en c'moment. L'marché a des hauts et des bas. On est dans un creux.

Putain mais qu'est-ce qu'il avait à lui raconter ça ? On aurait dit qu'il lui parlait du cours de la bourse... Enfin cela n'empêcha pas Elijah de se détendre un peu, reprenant une gorgée de whisky, et déposant finalement son flingue sur sa cuisse. Il reprit une clope, relevant tout à fait son masque pour se faciliter les choses.

T'es sérieux mec ? C'quoi ton problème ? Tu t'es fait largué ou viré pour être dans c't'état ?

Ou t'es complètement taré toi aussi ? Possibilité qui semblait des plus probable aux yeux du voleur, qui n'aurait jamais imaginé ça, même sous l'effet de l'un de ses meilleurs trips...