Depuis qu'il avait prit ses fonctions en tant que directeur par intérim, Andrew prenait très a cœur chaque rendez-vous, chaque papier était minutieusement étudié, chaque demande fortement évalué. Toutes ses nouvelles responsabilités pesaient déjà bien amplement sur ses épaules mais il ne renoncerait pas de sitôt. Son père comprendrait qu'il serait le parfait héritier de cette famille. Il ferait tout pour s'assurer que rien n'aille de travers.

Devant sa glace, le jeune homme fit son noeud de cravate d'une main de maître tandis que derrière lui, une silhouette se roulait dans la couette. "Tu pars déjà ?" demandait la voix féminine en pleine phase de sommeil. Andrew ne répondit pas, bien trop occupé a passer en revue sa tenue du jour. Un costume trois pièces d'un bleu marine, aucun pli, aucun fil qui dépassait. Avec délicatesse, il vint coiffer sa chevelure brune, s'assurant toutes les trois secondes que ses mèches ne s'échappaient pas du lot. Pour sa barbe, taillée au centimètre près. A son poignet il ajusta une montre simple et sa tenue fut prête pour son rendez-vous. "Tu claqueras bien la porte, elle se verrouillera seule." qu'il laissait échapper en récupérant ses clés pour finir par quitter son domicile.

En moins un rien de temps, le financier rejoignit le lieu où se jouerait probablement un de ses plus gros coup. Un coup d'œil a sa petite horloge et un sourire satisfait, parfait, il était en avance, comme toujours. En sortant de son véhicule, l'homme prit le temps d'examiner sa malette. Carnet, stylo, pochettes de documents en tout genre afin de parer a toutes les demandes... Encore une fois, a ses yeux tout était parfait. Reajustant enfin sa veste, le brun se dirigea vers la majestueuse tour Vanguard. On disait qu'il s'agissait du bâtiment le plus prestigieux et sécurité de la ville et sans doute était-ce vrai, si on admettait qu'il s'agissait du QG des plus grands héros de tous les temps. Enfin... Il n'était pas temps pour Andrew de s'extasier. D'un pas déterminé, il se dirigea vers l'accueil.

"Bonjour. Andrew Walsh, j'ai été demandé." qu'il se présentait a la femme qui se tenait devant lui. Elle le toisa un instant puis s'occupa de consulter l'agenda, sans doute en se demandant ce qu'il venait faire par ici. Sans doute qu'il aurait pu faire une blague, se montrer courtois mais son menton levé, son manque de sourire et ses yeux perçants devaient bien faire comprendre qu'il n'avait pas le temps pour les jugements ou les questions. Il n'avait pas le temps, de toute façon, de se laisser aller aux stupidités des gens sans postes importants. Cette réflexion le fit tiquer. Et voilà qu'il se mettait a avoir les mêmes réflexions que son vieux. Heureusement, il n'eut pas le temps de s'attarder sur cet aspect de sa personnalité qu'on le mena a travers les chemins et les bureaux pour finalement l'arrêter devant une porte. Quelques coups suffirent, quelques mots aussi, pour l'introduire puis il se retrouva propulser dans une pièce large et, il devait l'avouer, décoré avec goût. Directement, les yeux du banquier se posèrent sur la femme qui lui faisait face et un léger sourire naquit sur ses lèvres. "Andrew Walsh, directeur de la banque du même nom. Enchanté." se présentait-il simplement en venant lever la main pour qu'on l'a lui serre en guise de politesse.

Si elle avait choisi de donner rendez-vous au banquier dans son bureau de Vanguard, Mei avait pris soin de ne pas apparaître comme Atomia, délaissant ainsi son costume pour une tenue civile, en l'occurrence une longue robe satinée bleue ciel brodée de fleurs blanches, près du corps, d'inspiration chinoise, dont le modernisme discret s'inscrivait dans l'ouverture en forme de goutte au niveau de son décolleté. Chaussée d'une paire de talons hauts dorés, la jeune femme savait se mettre en valeur avec élégance et raffinement, sans en faire trop, gardant cette prestance sérieuse nécessaire à l'entretien qui allait se mener.

La lumière qui entrait par les immenses fenêtres de la tour rendait justice à chaque élément soigneusement sélectionné du décor. Il y avait évidemment plusieurs symboles de son statut de Guard, de son premier costume protégé dans une vitrine de verre à quelques photos accrochés au mur. Des oeuvres d'art plus ou moins discrètes, ainsi que de sublimes plantes vertes, étaient disposées dans la pièce, dont l'élément central était ce grand bureau de bois clair derrière lequel elle était assise quand trois coups furent frappés à sa porte. La super se leva au même instant pour accueillir son visiteur, mais faillit croire à une erreur avant que le brun ne se présenta.

Les yeux noirs glissèrent sans se cacher sur la silhouette masculine, jugeant et appréciant ce qu'ils découvraient. Lui, directeur ? Il se serait annoncé comme le chauffeur qu'elle aurait eu plus de facilité à le croire. N'était-il pas trop jeune, et trop charmant, pour être directeur d'une banque aussi prestigieuse ? La jeune femme ne montra toutefois rien de son trouble, venant glisser ses doigts fins et si délicats dans la main tendue vers elle. Elle la serra assez pour prouver à l'homme de ne pas se fier aux apparences. Ironie de la situation vu ce qu'elle avait pensé de lui...

Meiling Zhang. Ravie de vous rencontrer, Monsieur Walsh. Installez-vous, je vous en prie.

Plutôt que le bureau et les fauteuils dont il était flanqué, elle lui désigna un canapé d'angle de cuir noir qui trônait contre l'une des baies vitrées. Elle-même y prit place, avec une grâce presque féline et l'assurance d'une reine.

Vous souhaitez boire quelque chose ?

Un peu de légèreté avant d'entamer le vif du sujet. Elle ne savait pas de combien de temps elle disposerait, même si elle n'était pas sensée être en mission ce jour là. Mais les imprévus étaient monnaie courante, surtout ces derniers temps. Si elle devait redevenir Atomia, elle espérait au moins avoir le temps avant de régler ses affaires personnelles. Mais pour cela, elle se devait de vérifier quelque chose auparavant.

Je suis désolée, mais je vous imaginais plus... vieux. Vous êtes directeur depuis longtemps ?

Ou comment demander ses compétences l'air de rien...

La main dans la sienne donnait à Andrew l'impression qu'il s'agirait d'un match de tennis serré entre deux bons adversaires. L'homme la serra fermement sans être brutale puis récupéra ses doigts tout en détaillant sa potentielle cliente. Plus d'un serait impressionné de se trouver en présence d'une légende comme la femme qui se tenait non loin de lui. Les Guards, ce n'était pas des gens qu'on approchait si facilement et le financier devait sans doute s'estimer heureux de se trouver dans le bureau d'une star. Sauf que ce n'était pas le cas puisqu'il estimait que sans son costume, la demoiselle aux cheveux roses n'était pas en service, donc restait une personne comme une autre, qu'importait le prestige qu'elle pouvait traîner. Lorsqu'elle lui indiqua le canapé, le brun se détourna légèrement pour l'observer prendre place avant de la suivre sagement, s'installant à bonne distance sans être trop loin pour maintenir un certain lien entre eux, une technique qu'il avait apprit en cours, sur les relations clients. Lentement, sa mallette rejoignit le sol, à ses pieds et croisa les jambes ainsi que les mains qui prirent immédiatement place sur son genou surélevé. "Un verre d'eau suffira, merci." répondit le banquier lorsque la super lui proposa à boire. Pas qu'un verre d'alcool lui déplaisait mais il était toujours plus facile de montrer qu'on maîtrisait au maximum son environnement lorsqu'on ne connaissait pas son adversaire.

Lorsque Meiling ouvrit la bouche une nouvelle fois, Andrew cru un instant que c'était enfin pour avoir les explications concernant sa présence dans les locaux de Vanguard mais, bien évidemment, ce ne fut pas le cas. Encore une fois, comme depuis qu'il était en poste à la tête de la WBC - soit la Walsh Banking Corporate - on lui faisait une réflexion sur son jeune âge. Bien évidemment, au début, ça ne lui avait pas plu parce qu'il s'agissait de stratégies pour mettre à mal ses positions, douter de ses décisions, marquer une incompétence qui n'avait pas lieu d'être étant donné qu'il maintenait l'ordre dans sa société d'une main de fer. Aussi, il se contenta de sourire à la femme et défit ses mains croisées pour venir fouiller dans sa veste pour en sortir son porte-feuille. De là, il ouvrit le petit contenant et en sorti une carte de visite, ainsi que d'autres cartes, ressemblant à des diplômes miniaturisés et les tendit à l'asiatique. "Je suis à mon poste depuis quelques mois, à peine mais comme vous pouvez le voir, j'ai de multiples certifications qui prouvent que ma place est totalement justifiée." laissait échapper le greco-américain. D'aucun pourrait voir en cette démonstration une puérilité monstre car devoir prouver qui on est, c'était une façon de montrer un doute mais Andrew voyait ceci d'une autre façon. Étaler ses compétences compensait ses trente printemps. Mine de rien, ça jouait aussi dans l'image marketing. Un jeune directeur de banque devait forcément être proche des attentes du monde actuel, comprenait un peu mieux les enjeux d'aujourd'hui et verrait la société d'un œil neuf.

Un long sourire étira les lèvres du banquier qui changea le croisement de ses jambes, s'enfonçant un peu plus dans le siège moelleux après avoir réajuster sa veste et arrangé sa cravate. "Bien, maintenant que les présentations sont faites et que vous en savez un peu plus sur mon parcours, comment puis-je vous servir ?" qu'il demandait en laissant son regard émeraude détailler le visage féminin, comme s'il cherchait à cerner la raison de sa venue. Autre tactique de ses années d'études. Entretenir un contact visuel, sans être insistant. Ses yeux se détournèrent rapidement puis il vint fouiller dans son petit sac de travail pour en sortir une brochure détaillant la multitude d'offres que proposait la WBC. Lentement, il glissa le papier cartonné vers la super. "Vous savez, il n'est pas rare qu'un super vienne chez nous. Souvent pour les mêmes raisons, d'ailleurs. La majorité cherche à mettre son pécule en sécurité et nous nous assurons évidemment de la sécurité maximum à ce propos. Identifications ultra sécurisées dont je ne parlerai que si cela vous intéresse." reprenait Andrew avant de venir se lisser la barbe, laissant un léger blanc afin que la guard intègre les informations et y réfléchisse. "Nous avons aussi pas mal de clients qui se dirigent vers la branche bourse de notre entreprise. Notre département est un des meilleurs du marché. Ce n'est pas encore Wall Street mais nous avons pour ambitions de les défaire." qu'il rajoutait avant de se lever, de mettre les mains dans les poches et d'entamer quelques pas. Là, il ne suivait plus ses cours, qui impliquait de rester à hauteur de ses vis à vis pour qu'ils aient encore une impression de confiance. Cette fois, il montrait qu'il connaissait son travail. "Sinon, nous avons des comptes d'associations, d'entreprises, des assurances pour vos objets d'arts ou autres objets précieux."

Ce qu'il y avait de bien avec la finance, c'était que la palette d'offres pouvait être aussi imposante qu'un dictionnaire, aussi durant deux minutes supplémentaires, le banquier s'amusa à énumérer les différents secteurs qu'ils pouvaient contrôler, dans ses locaux, petites explications à l'appui, encore et toujours. Finalement, il se stoppa pour faire face à sa vis à vis et se mit à sourire de plus belle. "Alors mademoiselle Zhang. En quoi puis-je vous être utile ?" concluait l'homme en venant mettre les mains dans le dos, attendant patiemment, pressé néanmoins qu'elle reconnaisse qu'il connaissait en effet son métier, mieux qu'un autre, probablement, si elle en avait vu d'autres.

Deux verres furent remplis et déposés sur la table basse, avant qu'elle ne vint croiser les jambes, les dévoilant à travers la fente latérale de sa robe qui glissa de chaque côté de sa peau de porcelaine. Elle se pencha à peine pour récupérer les cartes présentées, n'y jetant qu'un bref regard, préférant écouter l'homme s'expliquer. L'aurait-elle piqué au vif ? Peut-être. Elle ne devait pas être la première à se montrer surprise après tout, bien que l'âge n'était pas un critère en soi à ses yeux. Tout du moins, pas pour le genre d'affaires qui les concernait dans l'immédiat. La super suivit des yeux les mains viriles bien qu'élégantes qui réarrangèrent la cravate, notant ce signe comme une volonté de se montrer impeccable face à elle, se sachant juger et ne voulant pas perdre ses chances d'ajouter un nom aussi connu que le sien au nombre de ses clients. Un fin sourire étira un coin des lèvres de la jeune femme, tandis que le brun continuait sa démonstration, abandonnant sa place pour se relever, exposant les diverses branches de sa banque, leur ambition et les autres supers qu'il se permit de comparer à Meiling. Comme s'ils pouvaient être comme elle...

La démonstration s'imprégnait dans l'esprit analytique de la super, qui écoutait tout autant l'homme qu'elle le regardait. Il savait ce qu'il faisait, assurément. Il connaissait son métier sur le bout des doigts et récitait parfaitement sa leçon, comme elle-même le faisait lors de ses discours pour Vanguard. Sauf qu'il était là, le problème. Mei savait trop bien comment une communication rodée était efficace, et tout ce qu'elle dissimulait. Elle ne cherchait pas un orateur ou une entreprise qui maniait le marketing avec doigté. Elle avait besoin, pour une fois, d'humanité. De vérité. De transparence. Aussi ses traits affichèrent-ils une légère moue ennuyée, qui disparue rapidement derrière un sourire d'apparence.

Monsieur Walsh... L'argent que je gagne est admirablement géré par Vanguard. Je vous laisse imaginer comment notre entreprise a pu étendre son réseau et nous assurer des placements fort avantageux.

Pourquoi avoir fait appel à lui dans ce cas ? La super ménagea un temps de silence, prenant une petite gorgée d'eau pour le laisser lui-même s'interroger. Il devait comprendre que cet entretien n'avait rien d'ordinaire, qu'elle n'était pas une cliente lambda. Reposant son verre, elle reprit posément.

Toutefois, un certain pourcentage, négocié au début de mon contrat, est laissé à ma propre disposition. De l'argent sur lequel Vanguard n'a pas droit de regard. Au fil des années, le montant est devenu... intéressant. Ma banque actuelle ne me convient plus. Je doute de leur solidité. Car comprenez moi bien, là où je placerai cet argent, je ne tolérerai aucun dérapage. Je suis Guard, et tout ce qui concerne Atomia est géré par l'entreprise, ce qui me va très bien. Cette autre partie dont je vous parle ne concerne que moi, Meiling. C'est un capital de sécurité que je dois placer entre les meilleures mains possibles, et je serai intraitable sur ce point. Alors maintenant, Monsieur Walsh, cessez votre exposé scolaire, que vous connaissez sur le bout des doigts, j'en conviens, et dites moi pourquoi je devrais vous choisir. Convainquez moi. Votre banque a une excellente réputation, mais je connais trop le milieu pour savoir comment on peut agir à ce niveau...

Les mots de la célébrité vinrent perturber Andrew. La femme venait de mettre fin a ses techniques de ventes habituellement si efficaces sur l'ensemble de ses clients. Comment n'avait-il pas pu prévoir ce scénario ? En même temps, il n'avait pas vraiment prit en compte qu'elle n'était pas comme tout le monde. Même sans sa tenue officielle, elle restait une super dont la notoriété pouvait faire envier le reste de l'humanité il était donc tout à fait normal qu'elle exige un service a la hauteur de sa réputation. Lentement, le banquier se passa la main dans les cheveux et revint s'asseoir près de l'asiatique. Son regard d'émeraude détailla lentement le visage qui semblait si doux, s'arrêta sur ses yeux sombres et un léger sourire en coin naquit sur ses lèvres. "Vous savez, mademoiselle Zhang..." Commençait l'homme en venant se frotter le menton de l'index. Qu'aurait dit Edmund pour convaincre la femme ? Perdant son sourire une fraction de secondes, en colère contre lui-même de se comparer a son père en cet instant, l'homme comprit que d'une certaine façon, ça prouvait a quel point il n'était pas encore a l'aise avec sa nouvelle place dans le monde...

Un long soupir quitta ses lèvres tandis qu'il fit lentement glisser sa veste soigneusement repassée le long de ses épaules et la posant sur sa cuisse gauche. Tout aussi délicatement, le financier déboutonna ses manches pour les remonter le long de ses avant-bras en des ourlets impeccables. Sur sa peau brune, on pouvait apercevoir le début d'une longue cicatrice, vestige hérité des évènements de la Price Tower, lorsqu'il avait tenté de sauver Asma des gravats qui l'avaient ensevelie. Tout cela fait, le brun revint croiser les doigts. Déjà, il se sentait plus libre de ses mouvements, moins engoncé dans un rôle qui ne lui collait pas toujours. A nouveau, ses yeux cherchèrent ceux de la demoiselle et un nouveau sourire naquit sur son visage. "On me compare souvent à mon père et fréquemment, je me demande ce qu'il ferait." reprenait le jeune homme en venant cette fois desserrer sa cravate pour être un peu plus confortable dans sa peau. "Honnêtement, ce n'est pas évident de  se faire son propre nom lorsqu'il est déjà assimilé a d'autres. Mon père, mon grand-père... Eux sont connus dans le secteur et moi, je suis encore dans leur ombre." qu'il avouait tandis qu'il vint s'enfoncer dans le fauteuil. "Cependant... J'ai pour ambition de les dépasser, les surpasser et les effacer d'une mémoire collective qui refuse mon entrée dans ce terrain de jeu." concluait l'homme, offrant un sourire plus que sincère. Après tout, ne disait-on pas que les fils cherchaient toujours a être meilleurs que leurs paternels ? Si ce n'était pas le cas d'Edwin, Andrew, lui, comptait bien y mettre ses forces pour atteindre son objectif.

Comme a chaque fois qu'il réfléchissait, Andrew vint se frotter le menton quelques secondes, un peu perdu dans ses pensées puis il se redressa pour prendre avec beaucoup de prudence sa carte de visite entre les doigts de Meiling. "Vous m'avez demander de vous convaincre alors écoutez bien : Je ferai de cette entreprise un des joyaux de la couronne d'Astoria. J'irai au-delà de toutes les espérances et écraserai les doutes qu'on entretient a mon égard. Je saurai offrir des ailes a mon navire, comme nul autre avant moi. Mon équipe sera la vôtre. Mes talents vous seront acquis, si et seulement si vous acceptez de me faire confiance parce que je puis vous assurer que tant qu'il y aura un détracteur, je continuerai d'enfoncer les portes qu'on garde close." finissait par lancer le banquier, le regard sévère et brillant de défi. Ce n'était pas juste des paroles en l'air, c'était une vérité si profondément ancrée qu'elle lui dévorait l'esprit. Il était vrai qu'il ne parvenait pas encore a prendre le contrôle total de tout ce qui l'entourait mais a mesure qu'on lui faisait comprendre qu'il n'était pas fait pour ça, il n'avait qu'une envie : ébranler la si jolie tour que les hommes avant lui avaient érigé. Oui, c'était une promesse personnelle. Faire sa propre légende, monter plus haut que ceux qui ne le pensaient pas capable.

Toujours avec prudence, l'homme remit le bout de papier cartonné entre les doigts fins de la femme et se releva, se fichant bien d'avoir fait tomber la pièce impeccable de son costume. "Qu'en dites-vous ? Accepteriez-vous de relever ce défi et d'être une de ces personnes qui oseront croire que l'outsider peut chambouler la partie ?" qu'il questionnait, totalement sûr qu'il dominerait bientôt entièrement l'échiquier sur lequel il avait été posé. Il devait devenir le prochain roi de la partie et quel meilleur moyen qu'une alliée de taille.

Il enlevait sa veste ? Voilà qui était intéressant. S'il se mettait à son aise, Meiling pouvait enfin espérer qu'il laissa aussi tomber le côté vernis et lisse de son discours, et qu'il se montra plus mordant quand à sa façon d'avancer ses arguments. Ses yeux rivés dans ceux de la Guard, il reprit avec un mélange de simplicité et de passion qui ne manqua pas d"intriguer et d'attirer la jeune femme à l'écouter un peu plus. Il évoqua son père et son grand-père dans l'ombre desquels il semblait avoir évolué jusqu'à en arriver à une place où chacun attendait qu'il fit ses preuves. Cela lui rappela ses débuts à Vanguard, quand le monde n'en avait que pour le Général. Elle avait dû patienter, jouer avec habilité, sourire à qui il fallait pour se faire enfin voir et devenir qui elle était. Une place chèrement acquise, et pour laquelle elle se battait constamment. Une place qui ne lui suffisait plus même, tant qu'elle ne serait pas au sommet...

Elle continua de l'écouter avec attention, suivant les traits de son visage, cherchant à percer là le vrai du faux. Il avait quelques tics, mais rien qui ne trahissait la comédie, bien au contraire. Et la suite de ces propos conforta la jeune femme dans cette idée, alors qu'il dévoilait son plan d'avenir, pour lui-même et son entreprise financière. De quoi plaire à la Guard, et il choisissait les mots justes. Elle en sourit, jusqu'à ce qu'il se remit debout, terminant là un discours bien plus intéressant que le premier.

Monsieur Walsh...

Meiling se leva à son tour, faisant quelques pas pour se planter devant lui. Bien que perchée sur des talons, elle demeurait plus petite que lui et devait lever la tête pour le regarder, mais cela ne semblait nullement la gêner ou l'intimider. Les pouces et index de chacune de ses mains vinrent se poser de part et d'autre de la cravate de l'homme, la lissant lentement tout en glissant vers le bas, alors que son regard noir accrochait le sien.

Votre ambition vous honore, tout comme elle me plait. Ne doutez pas que vos... talents m'intéressent, cependant pour m'avoir à vos côtés, permettez moi d'émettre un autre point de vue. Si vous voulez me conquérir, je vous suggère de conquérir non pas simplement Astoria, mais le pays tout entier. Voyez plus grand, visez plus haut. Je ne pourrai me contenter de services qui ne s'étendent que sur un seul plan.

Dans un sourire ambigu, elle relâcha le morceau de tissu soyeux avant de s'éloigner du brun pour gagner l'une des immenses baies vitrées de son bureau.

Approchez. Nous voyons certaines des limites d'Astoria d'ici. Voulez-vous vraiment vous restreindre à ces frontières ridicules ?

De nouveau, la Guard se tourna vers le banquier, pour finir :

Assurez-moi que votre ambition n'a pas de limite, Monsieur Walsh, que vous ne vous contenterez pas de dépasser votre père mais bien de le faire oublier, et vous pourrez compter sur moi. Je placerai mes ressources chez vous et vous garantirais mon soutien indéfectible. Il n'y a que la première place qui compte, quelque soit le domaine.

Son discours semblait avoir été entendu et Andrew se sentait un peu plus léger. Il n'avait jamais vraiment osé dire ces mots à haute voix, n'avait jamais vraiment réalisé qu'il aimait l'idée de surpasser son vieux et surtout cette envie de le faire taire en devenant bien plus grand que lui. Que c'était jouissif d'admettre une réalité qu'on retenait depuis tant d'années. Pourtant, la femme ne se contenta pas d'un "oui" pour rejoindre ses rangs, au contraire. Elle l'invita à la rejoindre aux larges fenêtres pour admirer la vue tandis que son plaidoyer semblait faire écho à l'ambition du jeune banquier. Le trentenaire s'approcha à pas lents et eut un sourire en coin lorsqu'il aperçu brièvement leur reflet dans le verre. Il était plus grand qu'elle mais ça ne changeait rien au fait qu'il captait son charisme et son assurance. Ou était-ce le fait qu'elle se soit approchée de lui, juste avant, de façon si... Provocante n'était pas le mot. En un instant, Andrew préféra effacer ce souvenir de son esprit, ce n'était pas le moment de perdre de vue son objectif. Meiling Zhang devait être dans son camp.

Délicatement, ses mains se posèrent sur les épaules féminines tandis qu'il approchait les lèvres de son oreille. "Je n'ai jamais dit que je me contenterais d'Astoria." murmura le financier, effleurant la pâle peau du menton. Lentement, ses paumes glissèrent sur les bras de la super pour s'arrêter sur le haut de ses avant-bras. Le parfum de la demoiselle lui envahissait les poumons et un nouveau sourire naquit sur ses lèvres. "Cette ville sera mon joyau, mon quartier général alors que le pays sera mon terrain de jeu. Notre terrain de jeu." poursuivait le brun alors qu'il invitait doucement l'asiatique à se tourner pour refaire face au paysage. "Quel genre de joueur est-on lorsqu'on se contente d'une case quand l'échiquier entier peut nous appartenir ?" qu'il questionnait, la voix suave, l'air de faire comprendre qu'elle ne devait s'inquiéter de ses projets d'avenir. Ses mains quittèrent finalement la peau de la femme puis il se décala, se détournant de l'extérieur pour se pencher et récupérer sa veste.

Quelques secondes s'écoulèrent et l'homme hésita un instant. Ses yeux vinrent se reposer sur Meiling avant de glisser les mains dans les poches. "Vous savez, la première place est merveilleuse mais être une légende... C'est au-delà de tout. Je compte bien tenir au creux de la main chaque banque de cette entreprise, être si présent qu'il deviendra compliqué de me comparer à qui que ce soit." Andrew marqua une petite pause, offrit un sourire de défi. "Le Général est une légende pour l'heure mais... Des noms effacent d'autres, dans l'histoire. Nombreux sont les oubliés alors qu'on les pensait éternels." Cette fois, le banquier défit sa cravate et la laissa tomber sur sa veste, déboutonnant la première encoche de sa chemise, pour pouvoir respirer, pour pouvoir être ce qu'il était vraiment, croisant les doigts et laissant à ses pouces le plaisir de s'entrechoquer à intervalle régulier. "Mes talents ne sont rien comparés aux vôtres, cependant, je peux vous garantir que tant que vous m'aurez à vos côtés, nulle mémoire ne saurait vous effacer." fit-il, concluant ses propositions de partenariat.

Une légère touche d'attente pour la réflexion, des oeillades provocantes et finalement, l'homme se déplaça pour se replanter à un pas ou deux de l'héroïne, levant une main entre eux. "Avons-nous un accord, mademoiselle Zhang ?" soufflait le brun en se surprenant à détailler à nouveau ce visage à l'apparence angélique.

Là où elle avait initié un contact très superficiel, l'homme le poursuivit en posant ses mains sur elle, laissant leurs peaux se rencontrer, leurs souffles se croiser un instant. La Guard ne bougea pas, le laissant faire, appréciant même cette proximité qui sous-entendait que, comme elle, l'homme n'était pas qu'ambitieux, il était également provocant, joueur, sûr de lui. Alors elle l'écouta dans un silence religieux, se nourrissant de ses projets comme des sous-entendus glissés, reconnaissant sa maîtrise des mots. C'était un humain, l'un de ces êtres non-dotés, mais pour une fois, celui-ci semblait être à la hauteur. Il n'avait en tout cas aucune peur à défier la super, et à se positionner comme un égal. Elle l'observa sans rien manquer de ses gestes, ne réprimant pas le sourire qui lui vint naturellement quand il se débarrassa de sa cravate. Il avait du cran, à se comporter ainsi face à elle. Et cela ne pouvait que plaire à la jeune femme... Les doigts féminins gagnèrent la main tendue, s'approchant d'un pas en même temps, réduisant leur écart à la limite du raisonnable.

J'aime votre discours. Jouons ensemble, Monsieur Walsh. Vous et moi, contre le monde. Votre entreprise et vos services...

Sa main quitta celle de l'homme, se levant pour venir de l'index écarter le haut de sa chemise. Pendant qu'elle parlait, Meiling avait usé de son pouvoir pour modifier la structure du tissu et des boutons, facilitant ainsi d'un rien l'ouverture quand le bout de son doigt glissa sur la peau masculine.

... couplés à mes pouvoirs et mon statut. Tant de choses attrayantes en perspective.

Quand son index finit son parcours, au milieu du torse qu'elle devinait parfaitement dessiné, Mei l'ôta et se recula de quelques pas, comme si rien ne s'était passé. Elle gagna ainsi son bureau, attrapa une carte à l'effigie de Vanguard et d'Atomia, pour inscrire à l'arrière un numéro de téléphone. Elle revint vers lui pour lui glisser dans la poche de sa chemise, qui retrouvait une structure normale progressivement, et déposa sa main par-dessus le vêtement quand la carte fut en place.

Préparez les papiers, et tout ce qu'il faut pour transférer mes comptes personnels. Quand tout sera prêt, appelez moi. Invitez-moi chez vous, je ne peux être vue dans un lieu public avec un homme qui ne serait pas de Vanguard pour le moment. Oh, prévoyez-moi également une tenue de rechange. Je devrais être en costume, pour laisser penser à une quelconque mission. Mais je préfère porter autre chose quand les circonstances le permettent. Si cela ne vous dérange pas, évidemment.

Un battement de cils et un sourire entendu, et la Guard retira sa main. S'il la trahissait, elle n'en ferait bien entendu qu'une bouchée. Mais l'instinct de Mei lui disait de tenter, d'user de cet homme pour arriver à ses fins, et de croire en cette ambition affichée égale à la sienne. Il lui fallait des partenaires, et quelqu'un d'extérieur à Vanguard était une option des plus intéressante...

Elle jouait et le montrait en venant user de son pouvoir sur la chemise qu'il portait, sentant la pulpe de son index parcourir sa peau. Ce contact intime fit frissonner Andrew qui se tint droit comme un i, se voulant imperméable à cette invitation à la provocation. Bien sûr qu'il aurait aimé prolonger cette bataille mais il se savait perdant puisqu'il n'était pas sur son terrain. Il savait qu'au moindre geste mal calculé, mal interprété, un mot malvenu et tout volerait en éclat. Au moins, la super avait accepté de vivre un challenge et acceptait de le suivre sur une route qu'il devrait tracer au jour le jour, une route pleine d'embuches et de doutes qu'il devrait façonner heure après heure. Néanmoins, c'est le regard brûlant qu'il vint prendre la main de la jeune femme pour venir poser un baiser sur ses phalanges, goûtant à peine à ce contact. Son sourire s'agrandit et d'une voix grave se permit un "L'attente ne sera pas longue, ça je puis vous l'assurer." prometteur avant de lâcher lentement ses mains et de récupérer ses biens pour s'en aller, fier d'avoir pu réaliser un exploit pareil.


Deux jours à peine étaient passés depuis l'entrevue entre le banquier et l'héroïne. Deux jours sur lesquels Andrew s'était penché sur chaque aspect du transfert, sur chaque autorisation, mettant en place un service rapide de changement pour satisfaire la femme qui lui offrirait certainement un trône et un royaume sur lequel son pouvoir financier s'étendrait à l'infini. L'idée de cette collaboration lui avait tiré un sourire durant plusieurs heures, rêveur et trop enthousiasmé pour ne pas se donner à fond. Le soir où tout était fin prêt, l'homme prit son téléphone et la carte de visite. Il s'était habillé de façon plutôt détendu. Un simple t-shirt blanc et un pantalon chino bordeaux. Pour les vêtements qu'il avait réservé à la femme... Eh bien durant les deux nuits, il avait parcouru bon nombre de sites internet pour se renseigner sur les mensurations de la super, s'était renseigné pour savoir ce que cela signifiait et s'était finalement résolu à choisir quelque chose de simple, qui fonctionnait forcément. Elle aurait droit à une chemise et un pantalon, les couleurs identiques mais inversées. Certes ce n'était pas original mais il s'en fichait bien, à vrai dire. Au moins l'asiatique ne se promènerait pas nue chez lui et puis, il était banquier, pas styliste, au moins ne pourrait-elle pas lui faire de reproche quand à sa tentative.

Tout est prêt. Je vous attend à cette adresse. < Objet : Géolocalisation partagée >

Un seul SMS, simple et efficace. S'il n'avait pas précisé que c'était lui, il se doutait qu'elle n'en aurait pas besoin, sauf s'il devait imaginer qu'elle donnait souvent des rendez-vous professionnels ou non, de cette façon. L'idée quitta bien vite son esprit tandis qu'il prit la peine d'accrocher les cintres des vêtements féminins dans la salle de bain. Est-ce que Mei serait satisfaite ? Lentement Andrew se tapota le menton en fixant la tenue et encore une fois, il se convainquit que ce serait tant pis si ce n'était pas le cas. Tranquillement, il se dirigea vers sa table basse où il ouvrit le bar et chercha une bouteille qui lui conviendrait. "Merde, j'ai plus de whisky... Tu fais chier Eli..." marmonnait le financier en fixant les trois pauvres gouttes qui collait au fond de sa bouteille. Bon, ce serait à rajouter à la prochaine liste de courses...

Quand elle avait reçu le SMS, la super n'avait pu empêcher son visage d'afficher un certain sourire, le souvenir des lèvres du banquier sur sa main venant se rappeler, comme une douce brûlure là où le contact s'était créé. Mais pour l'heure, la Guard avait encore à faire, et ce ne serait pas dans l'immédiat qu'elle rejoindrait l'homme, à qui elle envoya une simple réponse : Je suis encore en mission. Il n'en serait sûrement pas étonné, peut-être même la verrait-il sur la chaine dédiée à Vanguard ou sur quelques comptes des réseaux sociaux s'il en avait la curiosité...

Ce fut donc bien plus tard, alors que la nuit était bien entamée, que la jeune femme se posa enfin dans le jardin, l'obscurité la dissimulant des yeux voisins, épuisée de cette journée où ses pouvoirs avaient été trop mis à contribution. Elle avait hésité à reporter l'entrevue, à rentrer dormir ou à simplement demander à son chauffeur de l'emmener, mais aucune de ses possibilités ne lui avait paru plus tentante que revoir l'homme qui se cachait derrière le costume du financier. Pourtant, alors qu'elle reprenait son souffle, qu'elle tentait de ralentir les battements de son coeur épuisé, Meiling se demandait si elle n'avait pas exagéré, si cette décision n'était pas celle de trop et surtout, si elle ne le regretterait pas le lendemain, si Vanguard l'appelait encore et l'obligeait à tirer au maximum sur ses capacités.

L'orgueil fut malgré tout plus fort et elle pesta contre elle-même, se redressant, assurant sa prise au sol, contrôlant son esprit et son corps, alors qu'elle gagnait une baie vitrée, peut-être celle du salon, contre laquelle elle frappa. Et s'il dormait ? Elle préféra ne pas y songer. Elle l'appellerait si c'était le cas. Elle n'était pas là pour rien après tout. Heureusement, elle distingua rapidement de la lumière, puis le bruit de la fenêtre qui s'ouvrait, laissant enfin apparaitre le visage puis le corps du brun.

Désolé pour l'heure, je viens à peine de finir. Je vous dérange ?

Elle sentait ses jambes la supplier de s'asseoir un instant, de manger quelque chose, de reprendre des forces. Ses traits fatigués devaient la trahir, elle s'en rendait compte, détestant se montrer ainsi en pleine faiblesse, et encore plus devant celui avec qui elle avait conclu de conquérir le monde. Qu'en penserait-il, en la découvrant ainsi ? Renoncerait-il finalement ? Elle le tuerait sur place. Mais ses yeux sombres venaient d'accrocher ceux de l'homme. Elle le tuerait plus tard. Peut-être. Oh bordel, ressaisis toi, Mei...