Dans le noir, les trois Sewer patientaient à quelques mètres de là. Perruque vissée sur la tête, masque sur le visage et robe assortie, Elijah sentait la pression monter. C'était exaltant ! Bon il n'aurait pas dit ça comme ça, parce qu'il ne connaissait pas le mot, mais il prenait son pied, dans tous les cas. Il tenait un flingue en main, au cas où, et surtout parce que ça impressionnait encore plus que son pouvoir débile qui n'aurait pas manqué d'alerter toute la ville vu la nuit noire dans laquelle ils étaient plongés... A voix basse, il interpella ses compagnons de crime :

C'est bon pour vous ? La priorité c'est la came, mais hé, si on peut prendre le fric, on se gêne pas !

D'une pierre, deux coups. Ce serait l'idéal et le tatoué comptait bien le faire. Entre le talent de Giles et le pouvoir de Matthew, il pouvait même se permettre de prendre un peu plus de risque que d'ordinaire.

Ton flingue est bien chargé, Duracell ?

Il faisait confiance au blond pour beaucoup de choses, sauf pour être capable de tirer sur quelqu'un si besoin. Il avait pas la gueule pour ça Matthew, du moins selon les critères d'Elijah. Sauf que ce soir, il faudrait peut-être se montrer un peu plus dangereux et corrosif que d'habitude...

La situation, elle était "badante". C'est que Giles se serait sans doute dit s'il avait grandi dans un foyer dans lequel on autorisait ce genre de vocabulaire.
Les cambriolages, c'était son dada. Vite fait bien fait, et danger minimum. Mais les grands projets des Rats passaient aussi par tout un tas de missions auxquelles l'introverti évitait de se mêler. Pas sa came. Mais là, justement, c'était pour de la came qu'ils étaient là.

Ils avaient l'air ridicule. Alors oui, Halloween approchant, les costumes paraissaient peut-être moins louches qu'à l'accoutumée. Mais quelle dégaine. Et puis Halloween, c'était quand même une belle connerie. La seule fois où Giles avait voulu le fêter, il s'était fait violemment réprimander par son père. "Pas question qu'on accorde de l'importance à cette foutue fête païenne!".

Mais Elijah était venu le lui demander, et Giles aimait bien Elijah. Il ne savait pas dire pourquoi ceci dit, parce que... Elijah. Mais il lui faisait étonnamment confiance. Et puis c'était important pour Abel...

Le petit ne disait trop rien, était mal à l'aise, mais essayait de donner l'impression qu'il maitrisait aussi bien la situation que les deux chevronnés à ses côtés. Ils étaient armés, évidemment. Giles n'avait jamais eu à tuer, et l'idée ne l'enchantait guère. La vue d'un bout de cervelle lui donnait plus envie de gerber qu'autre chose. Mais il était là, prêt à faire illusion, faisait de grands pas qui n'avaient rien de naturels, tout en essayant de rester discret & en s'excusant dès qu'il marchait un peu fort sur une branche.

Il y avait de la bienveillance dans l'attitude des deux roublards, et Giles le sentait. Il s'y accrochait même. Quand Matthew lui sourit, Giles réplica donc. Mais avec son masque & sa perruque, c'était difficile. Alors il essaya de tout canaliser dans ses yeux, les ouvrant bien grands comme un psychopathe, et secouant sa tête frénétiquement, l'air de dire "Yes tout va bien je suis pas stressé du tout j'ai trop hâte youhou c'est la fête".

Sauf qu'il était pas serein pour un sou.

"Je suis prêt, je suis prêt, je suis prêt, vous en faites-pas. Mais c'est vraiment nécessaire les armes, là? C'est qu'une paire d'humains en face, pas de quoi s'inquiéter. Si? Non... Si? Vous pensez?"

Sa voix trahissait à la fois son envie de faire illusion, et la panique qui l'envahissait à mesure que l'échéance s'approchait. Il allait falloir faire quelque chose, mais Giles n'avait aucune idée de la marche à suivre, ou de quoi faire pour s'assurer une nuit paisible...

Le Sewer eut un sourire derrière son masque à la réponse de Giles. Il n'était pas du tout serein, le jeune, ça se sentait, même un idiot comme lui le comprenait bien. Mais Elijah avait confiance, ces deux là n'étaient pas des têtes brûlées, mais ils étaient fiables et loyaux, et il savait qu'il n'aurait pas à craindre pour ses arrières.

J'vais y aller en premier histoire de les perturber un peu. Portal tu fais ton machin d'apparition d'ici deux minutes ok ? Tu prends ce que tu peux, aussi vite que possible et tu reviens les filer à Duracell. Ca va foutre la pagaille et on en profitera.

Il donna une claque sur l'épaule du jeune homme pour le motiver, adressa un signe de tête à Matthew et s'éloigna enfin. Un instant plus tard, sa voix se fit entendre, tandis qu'il pointait son flingue vers les dealers.

Alors les trésors, on s'fait des réunions secrètes ? Retournez-vous, c'est moi qui vous prend c'soir. Et bougez pas trop, sinon j'vais me sentir obligé d'tirer trop vite.

Il observa la came qui attendait, une belle quantité, plus même que ce à quoi il s'était attendu. C'était parfait. Une fois les guignols hors d'état de nuire, ils n'auraient plus qu'à terminer la cueillette que Giles ne devrait pas tarder à entamer... Evidemment, l'un des vendeurs ne l'entendit pas de cette oreille et pointa son arme sur Elijah une fois la surprise passée. Et merde.

[3 sur le dé, donc réussite partielle pour Portal!]

Deux minutes, ça faisait exactement 120 secondes.

A partir du moment où Elijah tapa amicalement sur son épaule, Giles se mit à compter frénétiquement. Les choses devenaient concrètes, et on attendait visiblement de lui qu'il joue un rôle dans la scène très mal écrite qui se jouait sous leurs yeux. On n'avait peu voire pas d'informations sur les méchants, et du côté des héros, le casting était haut en couleurs. Oui parce que les Sewer Rats n'étaient pas les méchants dans cette histoire, il fallait bien se mettre d'accord là-dessus.

Dans les faits, le frêle jeune homme n'avait quasiment jamais utilisé son pouvoir sur une aussi longue distance, a fortiori en ayant aussi peu de visibilité sur l'endroit où aller. A part un cambriolage désastreux où il avait du fuir en urgence. Et où il avait atterri en plein milieu de la route, manquant de se faire faucher par un camion. C'était bien la peine de sous-estimer les humains quand, au fur et à mesure des années, Giles n'avait rien fait pour mieux dompter sa mutation. Il se contentait du minimum, mais là, le minimum ne suffisait plus.

Il murmurait jusqu'à arriver au décompte... "119... 120!". Il cria presque le dernier nombre, regarda Matthew avec toute l'inquiétude qu'on peut mettre dans un seul regard, puis passa à l'action. "Je fais l'aller-retour, j'amène la marchandise de suite".

Bien, donc, y avait pas de raisons que ça se passe mal. Un petit tour et puis s'en va, tout ça tout ça. Il se concentra, puis une sorte de vitre floue s'ouvrit devant lui. Ils auraient du faire du repérage, car niveau précision, ça allait être compliqué. Il inspira un grand coup, puis se jeta dedans.

Le temps de les rouvrir, et il s'aperçut qu'il ne s'était pas autant planté que ça. Il était juste derrière le groupe, à quelques mètres à peine de lui se tenait quelqu'un qui visiblement n'avait pas reçu la note interdisant le port du mulet. Difficile de dire en un coup d'oeil le nombre de brutes armées qu'il y avait ensuite, mais Giles s'aperçut de suite que l'un d'entre eux avait son arme pointée sur Elijah. Qui lui-même avait son arme pointée sur... le groupe. C'était une mauvaise idée ces flingues. A quoi bon être un Sup' si c'était pour utiliser les mêmes procédés fumeux que les cow-boys.

S'il espérait que le halo gris de son portail n'avait pas attiré l'attention, "Portal", puisque c'est comme ça qu'Elijah le surnommait, comprit vite que les choses n'allaient pas se passer comme prévues. Il était trop loin du sac, et ils n'étaient pas en bonne posture. Quel plan foireux.

"Si vous ne l'aviez pas encore compris, vous êtes cernés. Tous autant que vous êtes. Et si vous avez besoin d'un flingue pour cracher du feu, dites-vous que nous non. Ca va arriver de tous les côtés, donc il est encore temps de poser les armes, et de nous filer ce pour quoi on est venus. C'est clair? Est-ce que c'est bien clair? Parce que j'aime pas me répéter!"

Bon, son inspi du moment, c'était les rares films qu'il avait vus. Pas de télé chez les Roberts, ça ne facilitait pas la tâche. Il n'avait absolument aucune confiance en ce qu'il venait de dire, et cela s'entendait sans doute dans sa voix saccadée, mais il se tenait debout, espérant que la simple vue d'un Super - et deux, même- suffise à les mettre en bonne posture. Les jambes tremblantes, il se tenait néanmoins prêt à filer au moindre problème.

Woh il était pas mal le petit là ! Un poil long son discours, mais franchement Elijah trouvait que c'était assez couillu, surtout que Giles était pas porté sur un courage incroyable d'ordinaire. Il lui aurait bien dit, là, à son partenaire, mais les glandus d'en face ne lui permirent pas et voilà qu'une balle fusait. Puis une autre, clairement lancée dans sa direction. Au dernier moment, le Sewer s'écarta, mû par un réflexe ou l'habitude des mauvais coups, et la balle ne vint que l'effleurer, laissant une traînée rougeâtre sur son bras à travers la robe maintenant déchirée.

Fait chier bordel de merde ! La came était toujours là, mais trop loin pour être récupérée, surtout avec les dealers qui jouaient aux cow boys. Puisqu'ils avaient décidé de transformer la cabane en scène de western, le Rat n'allait pas demander son reste, et à son tour, il appuya sur la gâchette de son flingue. Bingoooo ! La balle se logea dans l'épaule de l'adversaire, qui poussa un cri sourd sous la surprise et la douleur qui enflamma son corps.

Portal ! Maintenant !

Lui tenait en joue l'homme le plus proche de la drogue, prêt à tirer de nouveau s'il le fallait. L'adrénaline courait maintenant dans tout son être, lâchant ses décharges d'excitation, laissant son pouvoir couler aux limites de sa maitrise. L'envie de tout faire exploser là dedans était forte, seule la présence de l'autre rat l'en empêchant, peu enclin à lui faire courir un autre risque. Et à voir la came leur échapper.

On va s'en occuper d'votre baltringue dehors, vous feriez d'vous casser maint'nant !

Note à soi-même: avant de clamer haut & fort la supériorité des Sups, s'assurer d'en être un bon exemple. Et là, concrètement, Giles était plus proche du mauvais acteur de série B que du héros qu'il aurait aimé qu'on voit en lui.

Au fond de lui, il avait bien envie de se rouler par terre en position fœtale et d'attendre que tout se passe. Que ce soit terminé. Mais en l'occurrence, c'est lui qui avait donné aux événements cette tournure pour le moins merdique. Et pour tout dire, s'il venait à en sortir vivant, Giles devrait sans doute vérifier le taux d'humidité de son caleçon, car il vit sa misérable enfance défiler sous ses yeux quand la seule réponse à sa minable intervention fut un gun pointé droit sur lui. Et le feu qu'il venait de se vanter de pouvoir cracher, bah en vrai, non.

"Oh merde non pas..."

Naïvement, le presque nain mit ses bras face à son visage, comme si cela suffirait à lui éviter une fin tragique, ou une blessure de guerre dont il pourrait parler à ses petits enfants. De longues secondes passèrent, beaucoup de bruit se fit entendre, et quand il rouvrit les yeux, la situation était encore plus barrée qu'avant. Le compteur du WTF n'était pas prêt de s'arrêter, à ce rythme-là.

Elijah, lui, ne perdait pas le nord. Un tir, un homme à terre - ou presque. Giles se demandait sérieusement ce qui lui permettait de réagir comme ça dans un foin pareil. Un manque total de discernement, un courage avec un C majuscule, ou une capacité d'improvisation digne des planches d'Astoria?
Mais assez spontanément, comme une petite éponge qui ramasse une tâche de bière, Portal se nourrit de la confiance qui émanait de la drag queen meurtrière qui se tenait face à lui. Et, à son signal, continua de laisser sur "OFF" sur son cerveau. Le réactiver était de toute manière plus dangereux qu'autre chose.

Ils étaient là pour la came avant l'argent, alors quitte à choisir, autant rester sur sa première idée. D'autant plus que la thune se faisait la mâle, toute attachée qu'elle était au ver de terre à mulet. Dans la confusion générale, au milieu des coups de feu, Giles tenta quelque chose.

Il se jeta rapidement dans un portail créé juste en face de lui, avec une sortie prévue pile à l'endroit de la marchandise. En un claquement de doigts, il y était. Compte-tenu du climat quelque peu "d'urgence" dans lequel il se trouvait, le petit était pas peu fier de lui.

Maintenant, il fallait enchaîner, et vite. Rejoindre Elijah. Sans réfléchir. Et c'est peut-être là que le bât blesse; parce que réfléchir, très honnêtement, c'est quand même souvent une idée. S'emparant du sac de came face à lui, Giles estimait pouvoir créer un autre petit portail pour rejoindre Elijah sur le champ.

"J'arrive Elijah, on se tire!!!"

Hé bien... En soi, il réussit à créer un portail. Petit? Sans doute pas. Et rejoindre Elijah s'avéra trop vrai aussi. Générant une énorme tâche grise à ses pieds, Giles tomba dedans comme on tombe dans une flaque d'eau. Mais la surface de son portail fit aussi tomber dedans deux des molosses armés qu'il était censé fuir. Juste au-dessus d'Elijah se trouvait "l'autre côté du portail". Les deux bandits tombant respectivement à environ un mètre du barbu; l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Et Giles, lui, en plein milieu, atterrit sur Elijah même. Avant de s'écraser au sol comme une belle petite m*rde.

Pas le temps de comprendre ce qu'il se passe. Tout s'enchaina trop vite. D'abord Giles qui lui gueule de se tirer et qu'il lui tombe... dessus ? Putain de pouvoir, c'était bien le moment de se planter ! Il allait pour l'aider à se relever quand le bruit bien reconnaissable d'une nouvelle balle siffla l'air et qu'elle vint se ficher dans la cuisse de son comparse.

Merde, bouge pas, att...

Il allait pour lui dire de pas s'inquiéter et qu'il allait le sortir de là, mais de nouveau le destin, ou plutôt la merde, s'en mêla. Heureusement, le Sewer avait l'habitude de ça, trop d'années passées là dedans sans doute, ça forgeait l'expérience. Le réflexe fut presque inné, quand il masqua ses yeux de son avant bras et plaqua tant bien que mal son épaule et son autre main sur ses oreilles. Ca n'empêcha pas l'impression d'être propulsé dans un autre univers pendant quelques instants, sensation désagréable que les sens ne répondaient plus, que l'esprit s'échappait. Putain de soirée...

La voix qui lui parvint en même temps qu'il reprenait fermement son arme en main n'augurait rien de bon. Alors le tatoué ne réfléchit pas plus. Il fallait sauver sa peau, et celle de Giles, tant pis pour la came, même si ça faisait chier. Il pointa le flingue, et tira, encore un peu étourdi. La tête du connard en tenue militaire fut manquée, mais pas son épaule. C'était toujours ça. Il visa de nouveau, prêt à tirer encore une fois...