BOYS WILL BE BOYS
Le moteur de la Dodge Rampage de son père vrombit encore, seul investissement qui a survécu à plus de vingt ans d’avancée technologique dans le milieu automobile. Vieille dame cabossée, sa carcasse peine à contenir le son d’une stéréo poussée au max, diffusant dans la rue les échos d’une musique ringarde.
Ilya roule comme si Southwood tout entier lui appartenait, une paire de lunette teintée vissée sur le nez. Une main sur le volant, l’autre accoudée à la fenêtre, il flâne plus qu’il conduit, s’offrant la liberté de gaspiller un peu d’essence avant de rejoindre Burnside Park. Le regard dans le vide, la concentration en vacances, il observe les badauds qui se pressent sur le trottoir avec une apathie bien particulière, plaignant presque ces âmes qui grouillent, condamnées à se contenter de leurs pieds pour les amener là où elles doivent être.
Les visages défilent, gris comme les barres d’immeubles, portant le poids de la mélancolie sur leurs épaules comme une écharpe bariolée de mini miss. Ilya se demande un instant s’il en croisera certains ce soir, au détour d’un deal. Il se rappelle d’un truc qu’il avait lu sur les réseaux, une théorie comme quoi on est amené à recroiser au moins deux fois le même inconnu dans la journée - alors, il se prend au jeu de cette trivia, tâchant de graver dans sa mémoire les traits d’une poignée d’étrangers ( difficile quand on doit garder un œil sur la route ).
Il s’attarde sur l’une de ces silhouettes qui vagabonde, d’abord curieux de reconnaître une démarche qui lui dit vaguement quelque chose sans pour autant savoir où il l’a déjà vu. Surement un client. Il rit face à l’évidence et, trop sûr de lui, appuie sur l’accélérateur, prêt à dépasser ce presque-inconnu qui, au final, ne satisfait pas sa rêverie.
C’est seulement quand il quitte sa cible du regard qu’un drôle de sentiment vient lui piquer les neurones : quelque chose lui ordonne de tourner la tête, comme un cri de l’âme qui vous indiquerait que vous êtes en train de rater votre sortie sur l’autoroute. Alors, avec une sorte de méfiance face à son propre instinct, il jette un coup d’œil par dessus son épaule, à peine certain que le risque en vaille le détour - mais une petite seconde d’attention suffit pour que le jeune homme se rende compte de sa bêtise : apercevant le profil de ce marcheur jusque-là anonyme, un nom s’affiche soudainement en lettres lumineuses dans l’esprit d’Ilya. Audrain. Putain, Audrain.
La voiture s’arrête dans un crissement de freins usés et, très vite, le chant des klaxonnes vient réprimander ce choix de conduite plutôt audacieux. Mais Ilya ne les entend pas, trop occupé à dévisager ce fantôme du passé qui, tranquillement, continue son chemin.
Comme possédé, en croyant à peine ses yeux, il sort du véhicule, claquant la portière derrière lui. Sauf que cette fois, la plainte d’un conducteur le sort de sa transe, mélange d’injures et de ouinouin routier. Sa réponse ne se fait pas attendre, sèche comme la poudre qu’il garde dans sa boîte à gant. — T’as qu’à faire le tour, connard. “ Une rue à deux voies, c’est fait pour ça, non ?
Sans perdre plus de temps, il s’élance sur le bitume, rattrapant la distance qui le sépare de ce vieil ami qui ne semble pas encore l’avoir reconnu. — Hey ! “ Il amorce son arrivée avec un cri qui sonne plus comme une menace qu’une vraie salutation, un sourire de gamin accroché aux lèvres. Enfin, il lève son poing, serré à s’en faire pâlir les veines, avant de le laisser tomber sur l’épaule d’Audrain - délicate attention sensée lui rappeler une époque où ces deux idiots se faisaient encore chambrer par leur camarades en culotte courte ( Boys will be boys. La délicatesse n’est pas son fort ) — Alors comme ça on dit plus bonjour ? “
Ilya roule comme si Southwood tout entier lui appartenait, une paire de lunette teintée vissée sur le nez. Une main sur le volant, l’autre accoudée à la fenêtre, il flâne plus qu’il conduit, s’offrant la liberté de gaspiller un peu d’essence avant de rejoindre Burnside Park. Le regard dans le vide, la concentration en vacances, il observe les badauds qui se pressent sur le trottoir avec une apathie bien particulière, plaignant presque ces âmes qui grouillent, condamnées à se contenter de leurs pieds pour les amener là où elles doivent être.
Les visages défilent, gris comme les barres d’immeubles, portant le poids de la mélancolie sur leurs épaules comme une écharpe bariolée de mini miss. Ilya se demande un instant s’il en croisera certains ce soir, au détour d’un deal. Il se rappelle d’un truc qu’il avait lu sur les réseaux, une théorie comme quoi on est amené à recroiser au moins deux fois le même inconnu dans la journée - alors, il se prend au jeu de cette trivia, tâchant de graver dans sa mémoire les traits d’une poignée d’étrangers ( difficile quand on doit garder un œil sur la route ).
Il s’attarde sur l’une de ces silhouettes qui vagabonde, d’abord curieux de reconnaître une démarche qui lui dit vaguement quelque chose sans pour autant savoir où il l’a déjà vu. Surement un client. Il rit face à l’évidence et, trop sûr de lui, appuie sur l’accélérateur, prêt à dépasser ce presque-inconnu qui, au final, ne satisfait pas sa rêverie.
C’est seulement quand il quitte sa cible du regard qu’un drôle de sentiment vient lui piquer les neurones : quelque chose lui ordonne de tourner la tête, comme un cri de l’âme qui vous indiquerait que vous êtes en train de rater votre sortie sur l’autoroute. Alors, avec une sorte de méfiance face à son propre instinct, il jette un coup d’œil par dessus son épaule, à peine certain que le risque en vaille le détour - mais une petite seconde d’attention suffit pour que le jeune homme se rende compte de sa bêtise : apercevant le profil de ce marcheur jusque-là anonyme, un nom s’affiche soudainement en lettres lumineuses dans l’esprit d’Ilya. Audrain. Putain, Audrain.
La voiture s’arrête dans un crissement de freins usés et, très vite, le chant des klaxonnes vient réprimander ce choix de conduite plutôt audacieux. Mais Ilya ne les entend pas, trop occupé à dévisager ce fantôme du passé qui, tranquillement, continue son chemin.
Comme possédé, en croyant à peine ses yeux, il sort du véhicule, claquant la portière derrière lui. Sauf que cette fois, la plainte d’un conducteur le sort de sa transe, mélange d’injures et de ouinouin routier. Sa réponse ne se fait pas attendre, sèche comme la poudre qu’il garde dans sa boîte à gant. — T’as qu’à faire le tour, connard. “ Une rue à deux voies, c’est fait pour ça, non ?
Sans perdre plus de temps, il s’élance sur le bitume, rattrapant la distance qui le sépare de ce vieil ami qui ne semble pas encore l’avoir reconnu. — Hey ! “ Il amorce son arrivée avec un cri qui sonne plus comme une menace qu’une vraie salutation, un sourire de gamin accroché aux lèvres. Enfin, il lève son poing, serré à s’en faire pâlir les veines, avant de le laisser tomber sur l’épaule d’Audrain - délicate attention sensée lui rappeler une époque où ces deux idiots se faisaient encore chambrer par leur camarades en culotte courte ( Boys will be boys. La délicatesse n’est pas son fort ) — Alors comme ça on dit plus bonjour ? “
Vanka