Maya ne peut pas dire exactement l'heure exacte mais le soleil a doucement commencé à se coucher. Elle s'est endormie sur son canapé, en voulant simplement lire. Elle n'est pas fâchée, elle ne dort pas assez. Alors, cette sieste a été bienvenue puisqu'elle a été sans cauchemar, sans le moindre rêve, bon ou mauvais. Ce qui ne lui arrive pas très souvent. Elle s'endort de façon régulière de cette façon, un peu n'importe où, n'importe quand. Il faut juste qu'elle ne fasse pas grand-chose. Ça n'arrive pas à chaque fois non plus, cela serait encore moins pratique. Elle ne compte plus le nombre de fois où elle s'est endormie dans l'autobus et qu'elle a raté son arrêt et qu'elle a attiré l'attention de presque tout le monde parce qu'elle s'est réveillée en criant ou en sursautant. Là, elle est bien contente d'avoir eu un vrai moment de repos. Pas de mauvais rêves, pas de retard, personne pour la regarder parce qu'elle s'est endormie dans un endroit public. Elle a un peu mal au cou, mais ça devrait passer. Elle a connu pire niveau douleur et elle déjà en train de s'étirer pour que cela passe un peu plus rapidement.

Elle décide donc, avec ce regain d'énergie, d'en profiter pour aller se promener, à sa façon. Bon, même sans, elle y aurait été en réalité. Il fait trop beau pour ne pas en profiter. Elle grimpe donc, passe par les escaliers de secours. Elle aime bien passer par ceux-ci, elle est plus proche du toit que de passer par l'intérieur et ressortir ensuite. Elle s'arrête, prend un instant pour regarder la vue, elle aime bien lorsque le soleil se couche et qu'elle peut le voir d'un peu plus haut. Elle n'est pas très haut, le troisième étage ce n'est rien, mais le soleil est au bon endroit. Elle se rapproche un peu plus du bord afin de ne plus avoir certaines parties de l'escaliers qui continuent de monter dans sa vue. Un instant plus tard, elle entend une voix masculine lui adresser la parole. « Quoi ? » fait-elle. Elle tourne sa tête en direction de la voix, ne portant pas du tout attention, elle n'a pas compris ce qu'il lui a dit. Cela vient avec quelques secondes de retard. « J'vais très bien, je regarde le coucher de soleil. Et toi ? » Pourquoi elle n'irait pas bien ? Il lit peut-être dans les pensées, elle ne l'espère pas. C'est personnel des pensées. Elle se rappelle déjà voir aperçu le jeune homme à quelques reprises dans les escaliers et dans l'entrée de l'immeuble, sauf qu'elle ne pourrait pas dire comment il se nomme. C'est assez étrange en réalité, d'habiter si près mais de ne rien savoir d'un voisin (enfin, ils ne sont pas au même étage, sauf qu'ils partagent la même adresse). C'est peut-être le moment d'y remédier avec celui-ci.

C’est rare pour le médecin d’avoir un jour de repos. Un vrai jour de repos, pas un pseudo-congé sponsorisé par la Division. En général, Gordon sent quand on a graissé la patte de son supérieur pour qu’il ferme les yeux sur son absence à venir. L’annonce se fait toujours par mail, un mail très formel et froid. Loin du caractère chaleureux de l’homme qui glisse toujours un petit smiley ou deux à la fin de ses messages. On ne lui pose pas de question quand le médecin revient, il reprend simplement son travail comme si rien ne s’était passé. C’est mieux de ne pas en parler, l’un craignant pour sa propre vie et l’autre n’ayant de toute façon aucun commentaire à faire sur le sujet.

Cette journée était particulièrement chaude et agréable. La température dépassait facilement les 25°C, mais un vent frais soufflait, emportant avec lui les effluves des lacs voisins. Une journée parfaite pour s’installer au parc et méditer entre deux airs de guitare joués pour amuser les enfants. L’Anglais essaye de venir au moins une fois par semaine. L’air pur, les grands espaces... Il a longtemps pensé qu’il n’en ferait plus jamais l’expérience. Trois ans, à vrai dire. Pendant 1227 jours exactement, il les a tous comptés. Ça lui permettait de garder un semblant de normalité, de voir le temps passer en se demandant s’il pourra passer Noël en famille cette année. Sa mère lui a d’ailleurs passé un savon quand il a repris contact au bout de trois ans. ‘’Encore parti à l’autre bout du monde sans prévenir ta vieille mère’’ qu’elle lui avait dit. ‘’Ah, tu me connais, je ne peux pas résister à un appel au secours !’’. C’était plus facile de mentir.

Gordon est rentré un peu tard. Il a fini par s’endormir sur l’herbe, à l’ombre de l’arbre contre lequel il était adossé. C’est un chien qui l’a réveillé, - un chiot, plutôt -, avec une balle dans la gueule et cherchant quelqu’un pour jouer. Le médecin connaît bien cet animal, mais surtout Iouri le propriétaire. Ils se sont déjà croisés plusieurs fois, fréquentant le même bar où chacun broie du noir après une mauvaise journée. Son accent d’Europe de l’Est lui donne beaucoup de charme, Gordon a toujours eu un faible pour les hommes avec un petit air grincheux et bourru. Probablement que la météo n’est pas à son goût ou que son chien a grignoté une de ses chaussures ce matin. Ils se baladent un peu ensemble, puis l’Anglais décide de rentrer. Bien qu’il apprécie beaucoup Iouri, le médecin aspire à une soirée calme et tranquille, ce qui ne sera pas le cas s'il accepte l'invitation de l'homme pour aller boire un verre.

En rentrant dans son appartement, le cœur de Gordon manque un battement. En effet, quelqu’un se tient à sa fenêtre et il craint un instant que Marina soit revenue. Cette femme l’a toujours mis mal à l’aise. D’un instant à l’autre, elle pourrait lui demander de se défenestrer parce qu’il l’a contrarié et il ne pourrait rien y faire. Toutefois, l’Anglais se rend rapidement compte qu’il ne s’agit pas de son ancienne camarade de prison, mais d’une jeune femme dont il se souvient être sa voisine du dessous. Sa présence sur l’escalier de secours est donc étrange, elle n’est pas censée monter aussi haut. Doucement, il ouvre sa fenêtre et l’interpelle : « Vous allez bien, mademoiselle ? Besoin de quelque chose ? » Il préfère ne pas adresser directement ce qui lui trotte dans la tête, mais il ne voudra pas attendre trop longtemps non plus avant d’exprimer son inquiétude. Finalement, la tension se relâche quand elle mentionne être simplement là pour admirer le soleil en train de se coucher. C’est vrai que voir les rayons disparaître derrière les hauts bâtiments est plutôt joli. « Ça va aussi, je viens de rentrer d’une balade au parc. »

Gordon marque une pause et en profite pour déposer sa vieille guitare sur le sofa, réveillant au passage Roussette qui dormait un peu plus loin. Le félin lui jette un regard mécontent avant de reprendre le court de sa sieste. Heureusement que ce chat est mignon parce que son caractère le rend difficilement appréciable. Le médecin s’accoude à la fenêtre, profitant également du coucher de soleil qui laisse place à un air plus frais et respirable. « Je ne crois pas qu’on se soit présenté, je m’appelle Gordon. Je me demandais, ça vous arrive souvent de prendre de la hauteur pour admirer le paysage ? »

@Maya Wilcox

Des situations drôles, cocasses, dangereuses, étranges, Maya en a vécu de toutes les sortes à force d'être là où on ne s'attend pas nécessairement à la voir. Elle ne sait donc jamais trop à quoi s'attendre lorsque qu'une rencontre de ce genre arrive. Il y a autant de possibilités qu'il y a de personnes, alors c'est plutôt difficile à prédire. Ce qui ne la dérange pas, elle aime bien l'imprévu, les surprises et arrive assez bien à s'adapter à n'importe quelles types de situations. À première vue, cela ne semble pas trop déranger le jeune homme. Il n'a pas l'air fâché, il a surtout un air inquiet. Après tout, elle pourrait être une voleuse, mais ce n'est pas le cas et pourtant, aux nombres de fenêtres ouvertes qu'il y a dans les logements en hauteur, elle pourrait. Sauf que ce n'est pas son genre. Les rares fois où elle entre, c'est lorsqu'elle ne peut pas attendre pour aller à la toilette et parce qu'elle est trop loin d'une toilette publique; elle a appris assez vite à les repérer un peu partout dans la ville. Bref, il n'a pas besoin de s'inquiéter de sa présence, il ne devrait pas trop tarder à le savoir.

Tout va bien, pourquoi elle aurait besoin de quelque chose ? Il est vrai qu'elle est devant une fenêtre, enfin, face à la fenêtre. Il ne doit pas y voir quelqu'un à tous les jours, ces escaliers ne sont pas très souvent utilisés, ils sont là pour une bonne raison. Ils ne sont pas les plus prudents à utiliser, ils ne sont pas non plus très invitants à utiliser de façon régulière. Rien qui ne la dérange, ce qui n'est pas anormal lorsqu'on la connait un peu. Plus c'est dangereux, plus elle aime. « J'aime bien me promener dans les parcs aussi. » Elle n'a rien contre faire des activités qui sont un peu moins dangereuses, elle a juste besoin de sa dose assez régulièrement de se balader un peu partout sans que ce ne soit très prudent. C'est plus fort qu'elle, elle a toujours été comme ça, même enfant pour le plus grand malheur de ses parents. Elle voit un chat dans l'appartement de son nouveau voisin et elle fait un sourire. Elle aime bien les animaux, elle se dit toujours qu'elle devrait en avoir un chez elle, mais elle doute. Elle aime bien n'avoir aucune responsabilités, surtout avec le temps qu'elle peut partir pour faire ses balades à elle ou encore lorsqu'elle perd la carte. Cela n'arrive pas souvent, la durée change, mais elle ne peut pas s'occuper d'une autre créature lorsque cela arrive. Elle ne sait pas toujours où elle est ou qui elle est lorsque ça lui prend.

Son voisin se présente et elle hoche la tête, ils ne se sont jamais présentés. C'est un peu étrange ne fait, comme ils partagent le même immeuble, mais c'est souvent comme cela à cette époque. Personne ne veut se faire déranger ou déranger les autres, égocentrisme ; peu importe la raison, c'est très courant. « Maya. » Et c'est fait. Comme quoi, il faut peut-être des situations exceptionnelles pour que cela fonctionne. « Oui... et parfois je vais même plus haut. » Le troisième étage, ce n'est pas si haut que cela. « Ça dépend de mes envies. » Elle va souvent plus haut, il est vrai. Ses envies de dépasser ses limites sont souvent là, d'aller plus loin, de tester, d'essayer, de savoir jusqu'où elle peut aller. Ce qui peut souvent sembler suicidaire pour les autres est normal pour elle. Un détail vient de lui arriver en tête, quelque chose d'assez logique en réalité. « Tu veux peut-être que je parte de là ? » Elle est devant chez lui et peut-être qu'il ne veut pas avoir quelqu'un devant sa fenêtre. C'est normal. Peut-être qu'il est trop poli pour le lui demander directement. Ce qui n'est pas son cas, elle n'est pas quelqu'un qui respecte toutes les convenances et qui est assez directe en général. Elle peut respecter sans problème, mais à sa façon.

C’est étrange cette sérénité qu’on ressent lorsqu’on regarde le soleil se coucher. On se laisse envahir par une légère mélancolie tandis que l’astre disparaît à l’horizon dans une traînée de rose et d’or. Ces derniers jours, Gordon n’a pas vraiment eu l’occasion d’admirer le paysage. Il est souvent bien trop fatigué par ses journées de travail et n’a qu’une seule idée en tête, rejoindre son lit le plus rapidement possible. Rarement, l’idée de se poser lui vient, de simplement profiter de l’instant, de reprendre contact avec soi-même. C’est dommage, il le faisait souvent quand il était à Katmandu. Comme si cet endroit avait le pouvoir d’ouvrir sa tête de mule à la spiritualité et au calme. Ici, à Astoria, c'est plus compliqué. Puis, on ne lui a pas spécialement laissé le temps de méditer sur le sens de la vie non plus.

Gordon ne sait pas trop quoi répondre à son étrangère. Très honnêtement, qu'elle reste ici ou pas lui est bien égal. Du moment qu'elle ne commence pas à rentrer chez lui pour lui voler des trucs, la jeune femme peut bien élire domicile sous sa fenêtre, ce n'est pas Gordon qui la chassera de là. La pluie ou la mauvaise humeur de la propriétaire s'en chargeront. Le plus gros problème qui lui vient à l'esprit, c'est de penser à toujours porter un pantalon pour qu'elle ne le surprenne pas à se balader à poil.

L'Anglais la dévisage un instant, un simple regard en coin accompagné d'une moue presque imperceptible. Il se laisse le temps de réfléchir ou de rassembler ses pensées qu'il a laissées s'envoler. Après une courte inspiration et un haussement d'épaules, il déclare “Ça m'est égal, l'escalier de secours est au service de tout le monde, après tout. Mais ce serait bien moins dangereux d'utiliser celui à l'intérieur, tu sais, et de laisser celui-là libre en cas de réelle urgence.” Le revoilà avec une leçon de morale, à croire que ces derniers temps, il soit devenu particulièrement chiant. Ce n'est pas évident de vivre comme on l'a toujours fait quand son quotidien a été entièrement chamboulé. Le médecin est devenu plus prudent, moins insouciant, peut-être plus mature aussi.

Gordon rajoute quelques mots avant de tourner la tête de sorte à ce que son invitée ne soit plus dans son champ de vision. “Enfin, ce que j'en dis... C'est pas important !” Cette situation est devenue légèrement gênante. Lui qui aspirait à une soirée tranquille, peut-être à lire ou à regarder la dernière série du moment, et au lieu de ça, il se retrouvait à taper la causette à sa voisine du dessous. Voisine qui va probablement finir un jour étalée sur le trottoir en bas après avoir raté une des marches glissantes de l’escalier de secours. Personnellement, il préfèrerait brûler vif dans son appart plutôt que d’emprunter ce bric-à-brac de l’enfer.

“Puisqu’on vit dans le même immeuble, tu sauras peut-être me répondre. Tu sais à qui appartient ce chat ?” Gordon s’écarte légèrement pour permettre à Maya d’apercevoir plus en détail le sac à croquettes qui ronfle sur le sofa. C’est un gros chat roux à poil long. Le blanc au bout de ses pattes donne l’impression qu’il porte des chaussettes. Le félin a l’air plutôt jeune et en forme, mais ce n’est certainement pas un athlète non plus. “Il vit chez moi depuis le jour où je me suis installé. Je sais qu’il appartient à quelqu’un dans l’immeuble, mais jamais personne n’est venu réclamer après.” L’Anglais distribue quelques papouilles à son colocataire quadrupède qui hésite entre ronronner ou lui mordre les doigts. “En attendant, je l’ai appelé Roussette.”

@Maya Wilcox

Laisser l'escalier libre en cas de réelle urgence... tiens, cela, Maya n'y a jamais pensé. Il est vrai que pour elle les vraies urgences ne sont pas comme celles de n'importe qui. « J'vois pas en quoi c'est dangereux, c'est qu'un escalier... » Bon, sa manière de voir le danger est très... absente. Son instinct de survie n'est pas très présent, il ne devrait pas tarder à s'en rendre compte. « Et on est pas très haut non plus. » Ils ne sont qu'au troisième, ce n'est pas très effrayant comme hauteur. Si on ne sait pas comment atterrir ou si on tombe, cela peut faire mal. Elle, ça va. Elle a sauté de plus haut. « Et faut juste savoir comment atterrir en cas de besoin. » qu'elle rajoute, quelque instant plus tard. « Et si y'a une urgence je vais sauter rapidement pour laisser la place. Ou aider nos voisins à descendre plus vite. » Cela pourrait être utile. Elle pourrait faire descendre les escaliers, s'assurer que personne ne tombe. Bref, elle va bien voir à ce moment là. En espérant tout de même que cela n'arrive pas. Elle secoue ensuite la tête. « Oh, non non, c'est important... j'y avais pas pensé... enfin. Ça m'arrive souvent. » Elle est du genre à agir et non pas à penser. Ce qui n'est pas toujours une très bonne chose, elle le sait.

Gordon lui pose ensuite une question qui n'a pas vraiment rapport à elle sur le bord de sa fenêtre, mais ce n'est pas grave. À qui appartient... « Mais tu me trompes ! Vilain Fox. » fait-elle, se mettant ensuite à rire. Ce n'est pas son chat et elle l'a déjà vu aller chez presque toutes les personnes de l'immeuble et des alentours. « J'sais pas... il va un peu partout. » Ici et là, sans qu'il ne semble avoir un véritable propriétaire. « J'pense qu'il profite de la vie, c'est tout. » Après tout, pourquoi il ne le ferait pas ? Il a bien de la chance. Il entre où il veut, va là où il le souhaite, est le bienvenu partout de ce qu'elle peut savoir. « Roussette... » fait-elle. « J'préfère Fox. » Peut-être parce ça rime avec son nom de famille, elle ne peut pas dire. « Ça fait plus puissant je trouve... et il est pas du genre à se laisser faire. » C'est aussi le cas de bien des chats, mais ce n'est qu'un détail. « Tu m'avais jamais vu passer avant ? J'fais ça souvent pourtant... » Elle n'est pas du genre à se cacher pour le faire. « J'fais du parkour, c'est pour ça. » Peut-être qu'elle aurait dû commencer par là. Cela explique assez bien pourquoi elle prend les escaliers de secours, pourquoi elle parle de savoir comment tomber... au moins elle y a pensé, c'est déjà un début.